Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/216

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Sa taille était haute, robuste et dégagée. Il portait comme autrefois ses cheveux noirs très-ras qui, marquant ainsi leurs cinq pointes autour de son large front, donnaient à ses traits un caractère particulier ; aussi j’avais tout d’abord reconnu mon ancien compagnon d’enfance ; ses favoris bruns et touffus, son épaisse moustache de même nuance augmentaient encore l’expression résolue de sa figure énergiquement accentuée ; mais sa physionomie, au lieu d’être ainsi qu’autrefois farouche et sardonique, me parut à la fois joviale, insolente et railleuse. La mise de Bamboche annonçait à la fois le luxe et le mauvais goût : une grosse chaîne d’or serpentait sur son gilet de velours nacarat ; il portait des boutons de brillants à sa chemise, et les manches de son habit marron, retroussées jusque par-dessus le poignet, pour plus de commodité, laissaient voir ses larges mains d’une propreté douteuse ; il les étalait ainsi sur le rebord de la loge afin de faire admirer sans doute les bagues de pierreries qui étincelaient à ses gros doigts. Croyant sans doute du meilleur air de paraître avoir la vue basse, Bamboche, malgré l’éclat de ses grands yeux gris ouverts, joyeux et brillants, regardait de temps à autre, et fort gauchement, à travers un binocle d’or. La compagne de Bamboche, à laquelle il ne prêtait d’ailleurs qu’une médiocre attention, était coiffée d’un frais chapeau rose, et portait un très-beau châle sur ses épaules.

La féerie continuait ; mais je n’avais d’yeux que pour Bamboche ; mon cœur battait violemment, je reconnaissais la vérité de cette prédiction de Claude Gérard :

« Tu retrouverais tes compagnons dans dix ans, dans vingt ans, que tu ressentirais aussi profondément que