c’est moi qui te le dis, on saurait que les habits que tu as sur le dos sont des habits volés…
Et après une pause le cul-de-jatte ajouta :
— Qu’est-ce que tu dis de cela ?
— Vous êtes un infâme, — m’écriai-je.
Le bandit haussa les épaules.
— Un infâme ?… — reprit-il. — Un infâme… Voyons un peu ça ? Hier matin… tu crevais de faim, je t’ai donné du pain ; hier soir tu crevais de froid, je t’ai donné un asile… tu étais couvert de haillons… je t’ai habillé chaudement et à neuf de pied en cape. Trouve donc beaucoup d’honnêtes gens qui fassent pour toi ce que j’ai fait ?
— Mais dans quel but m’avez-vous ainsi secouru ? Pour m’amener au mal ?
— Pardieu !… — reprit le brigand, — c’est clair… ça ! Mais je voudrais bien savoir si les honnêtes gens t’en donneraient autant pour t’amener au bien ?
Quoiqu’il eût un côté paradoxal, ce parallèle m’atterra ; je ne trouvai pas d’abord un mot à répondre… Car, je l’avoue avec honte, avec remords, j’oubliai un moment que Claude Gérard, bien pauvre lui-même, m’avait recueilli pour faire de moi un honnête homme ; mais, je le répète, je fus d’abord d’autant plus frappé du paradoxe du cul-de-jatte, que le souvenir de ma démarche auprès d’un magistrat représentant pour ainsi dire la loi, la société, me vint aussitôt à la pensée… Qu’avait-il, en effet, répondu, ce magistrat, à ma demande de travail ? Quels encouragements avait-il donnés à mes résolutions d’honnête homme ? Quelle issue avait-il ouvert à ma position désespérée ?