Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 7-8.djvu/112

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Je longeais le quai d’Orsay, assez désert à ce moment ; un homme pâle, maigre, à barbe inculte et d’une laideur singulière, vêtu de guenilles, mais ayant l’air doux et craintif, m’a tendu la main en tremblant ; il avait de grosses larmes dans les yeux, et il m’a dit tout bas d’une voix étouffée :

— Monsieur… Monsieur… pitié, s’il vous plaît…

Depuis que j’ai éprouvé les angoisses de l’homme timide et honnête réduit à tendre la main, je ne suis jamais indifférent à ces tristes requêtes : j’ai cherché dans ma poche une petite pièce de monnaie, et comme je la mettais dans la main de ce pauvre homme, en le regardant de plus près, sa laideur remarquable, et surtout ridicule, m’a fait tressaillir… Mille souvenirs se sont éveillés dans mon esprit… et je me suis écrié :

Léonidas Requin

C’était lui… Pauvre Léonidas ! quelle joie. Il a vu en moi un sauveur, je lui ai donné bien peu, mais du moins de quoi payer une huitaine d’un petit cabinet garni et être à l’abri de la faim durant ce temps ; j’ai quelques hardes qui le vêtiront convenablement, et je tâcherai d’intéresser à son sort Mme Astarté, la toute puissante femme de chambre de la ministresse.

« — Après avoir été homme-poisson, et vécu aussi misérablement que je viens de te le raconter brièvement, mon bon Martin, — m’a dit Léonidas, après un assez long entretien, — tu sens bien que j’accepterai quelque position que ce soit, pourvu qu’elle me donne un toit, un habit et du pain. »

Et quand je lui ai parlé d’une place de garçon de bureau, peut-être même d’huissier, le digne lauréat