Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 7-8.djvu/170

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

prit sans façon par la taille une horrible bergère isolée qui se prêta de la meilleure grâce à cet enlèvement, et se précipita, avec sa danseuse, au milieu de la ronde effrayante, en poussant, comme les autres danseurs, des cris forcenés.

D’un saut je fus sur les marches de l’escalier qui conduisait aux galeries latérales.

De là je pus presque toujours suivre le prince du regard ; malgré ses emportements désordonnés, il n’y avait chez lui ni joie, ni enivrement, il me parut possédé d’une sombre frénésie. Au lieu de se colorer par l’animation de cette course furibonde, son visage devenait de plus en plus livide… son sourire de plus en plus contracté…

Ce prince, si incroyablement doué par la nature et par la fortune… cet homme, le mari de la femme la plus adorable qui fût au monde… cet homme, portant un des plus beaux noms de France… cet homme m’apparaissant ainsi emporté dans le torrent d’êtres crapuleux, m’inspira de nouveau une commisération profonde…

Se jeter à corps perdu dans une telle fange pour oublier de grands chagrins, cela me paraissait pire que le suicide.

Le galop était terminé.

Son évolution avait ramené le prince presque au pied de l’escalier où je me tenais. La politesse de céans exigeait sans doute que le danseur fît rafraîchir sa danseuse ; car la repoussante bergère, rouge, suante, haletante, aux bas et à la jupe crottés, s’empara résolument du bras dont le prince venait de l’entourer, et lui dit d’une voix rauque :