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— Et quand je pense, — reprit notre maître d’hôtel, — que j’avais un cousin, brave et digne garçon, commis-marchand de son état, qui, avant la révolution de juillet, était d’une société secrète, où l’on jurait sur des poignards haine aux rois, aux nobles et aux prêtres… et qu’il a vu cent fois votre ministre, Astarté, qui était alors M. Poliveau tout court, jurer et rejurer, comme un enragé, haine aux rois, aux nobles et aux prêtres !

— C’est donc pour ça, — reprit Astarté, — qu’il est à plat-ventre devant la moindre robe noire, et qu’hier encore il me disait en roulant des yeux : — Ma bonne, M. le duc allait tous les dimanches à la messe, n’est-ce pas ? — Oui, Monsieur, il allait à la messe, mais il faisait tous les ans pour 25,000 fr. d’aumônes dans ses terres. — À cela le crasseux bourgeois a encore fait hum ! hum ! et a rentré sa grosse tête dans ses épaules rondes comme un colimaçon borgne dans sa coquille.

Cet entretien fut interrompu par l’arrivée de notre cuisinier : ce personnage fit une entrée magistrale, suivi de son aide de cuisine, portant sur un plateau cinq ou six assiettes de petits gâteaux sortant du four. L’assemblée accueillit cette galanterie culinaire avec une faveur marquée. Les gâteaux furent placés sur une table, à côté d’un service de thé en fort jolie porcelaine anglaise ; l’aide de cuisine, soumis aux lois de la hiérarchie, sortit en jetant un regard de convoitise sur les gâteaux et sur les invitées de Mlle Juliette.

— Je vous demande pardon, Messieurs et Mesdames, — dit le cuisinier, — de me présenter en uniforme, — et il montra sa veste blanche et son bonnet de coton ; il était resté fidèle, disait-il, à ce bonnet traditionnel et