Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 7-8.djvu/22

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a conservé les bonnes traditions. Du reste, après les dîners de ministre, ce que j’ai vu de plus atroce… ce sont les dîners de famille d’un Américain colossalement riche, chez qui je me suis fourvoyé pendant trois mois… gigot aux haricots, pièce de bœuf aux choux, flan aux pommes de terre, tel était le menu de tous les jours… mais six fois par mois des dîners… oh ! des dîners dignes du grand Carême… il est vrai que le lendemain on vendait la desserte aux restaurateurs de moyen ordre… Ces extrêmes n’allaient pas à ma manière de travailler, et j’ai déserté… Il y a, du reste, beaucoup de maisons pareilles… — ajouta philosophiquement le cuisinier, — tout pour paraître… rien pour être…

— C’est comme beaucoup de nos élégants, — reprit Leporello, — je dis élégants, — ajouta-t-il avec suffisance, — parce qu’il n’y a plus que les femmes de notaire ou de ministre qui disent lions, ces gaillards-là ont un compte de cent francs chez la lingère et de deux mille chez le tailleur… je ne dis pas ça pour mon maître, car après M. le maréchal S***, mon maître est le plus grand homme de linge qui existe ; à propos de mon maître, je vous dirai que je lui ai tout bonnement sauvé la vie ce matin… car, sans moi, demain il se battait à mort avec M. de Blinval… et il était tué… aussi vrai que vous avez les plus beaux yeux du monde, Astarté…

— Ah ! mon Dieu ! contez-nous donc ça, Leporello, — dit Juliette.

— Ah ça !… c’est bien entre nous… comme toujours ? — dit Leporello, avant de commencer son récit, et se posant carrément devant la cheminée, les deux