Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 7-8.djvu/351

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sacrifier ce candide Scipion sur l’autel de quelque divinité infernale ? Voyez un peu combien je suis vaniteuse, — ajouta Basquine en riant à demi, — il me semble à moi… qu’en me sacrifiant Scipion… je ferais beaucoup de jaloux. Croyez-moi… vous aurez peine à me faire passer pour quelque terrible Barbe-Bleue. Vrai, je n’épouvante pas trop… le monde… Allons, Monsieur le comte, allons, ne dérogez donc pas en faisant ainsi le bourgeois… redevenez ce sceptique et spirituel jeune-père qui, vraiment grand seigneur, a galamment élevé son fils comme M. le duc de Richelieu avait élevé M. de Fronsac.

— Il ne s’agit ici, Madame, ni de M. de Richelieu ni de M. de Fronsac… je ne suis pas un grand seigneur… mon père était un aubergiste enrichi, mon fils est le petit-fils d’un aubergiste enrichi.

— Eh bien ! Monsieur, qu’à cela ne tienne ; c’est vous qui, par vos grandes manières, faites de M. votre père un grand seigneur. Dans votre famille, au lieu de descendre… la noblesse remonte… comme dans je ne sais plus quel pays… voilà tout… Mais, de grâce, ne compromettez plus cet esprit moqueur, sceptique et brillant dont vous avez si généreusement donné le secret à votre fils… et surtout plus de ces imaginations bourgeoises, n’est-ce pas ?

— Il me sera difficile, Madame, d’accéder à votre désir, — reprit le comte, presque mis hors de lui par la doucereuse insolence de Basquine. — Mon fils a pu rêver qu’il était le fils d’un grand seigneur… Moi, aussi… j’ai pu faire ce sot rêve… Mais, depuis quelques jours, — ajouta gravement le comte, — je me suis éveillé… et