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Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 7-8.djvu/415

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tée, savourée, cette sauvage et âpre jouissance, — s’écria Basquine de plus en plus pâle, et dont le front commençait à se perler de sueur comme celui de Bamboche. Lui, le regard fixe, la tête appuyée dans ses deux mains, souriait parfois aux désespérantes paroles de Basquine avec un rire sinistre, souvent convulsif, douloureux, pendant que ses traits livides, contractés, s’altéraient de plus en plus ; mais Martin, pour ainsi dire palpitant sous l’obsession des terribles aveux de Basquine, ne s’apercevait pas de l’espèce de lente décomposition qui se manifestait sur la figure de Bamboche.

— Oui, long-temps je l’ai savourée, l’âpre et sauvage jouissance de la haine, — reprit Basquine. — Oh ! avec quelle joie j’ai charmé, séduit, enivré, pour la désespérer ensuite jusqu’à la mort… cette race maudite des Scipion et des Castleby !… Que de larmes, que d’affreux sacrifices, que de sang je lui ai coûtés à cette race infâme !… Mais… — ajouta Basquine d’un air sombre, — bientôt… ces ressentiments même, qui étaient toute ma vie, se sont affaiblis…

— Que dis-tu ? — s’écria Martin.

— Alors pour les raviver, — reprit Basquine, — je m’en allais seule… à pied, dans ces quartiers où nos pareils pullulent et disputent chaque jour leur vie à la misère et à tous les vices qu’elle engendre… Dans cet affreux spectacle, je retrempais vigoureusement ma haine ; je donnais là ce que j’avais d’or, et puis, le cœur gonflé de haine, je revenais attendre chez moi, dans mon salon, ces riches, ces heureux du jour… qui n’avaient que mépris ou dureté pour ces maux de nos frères, de nos sœurs… abandonnés ou misérables, comme nous