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— Hum !… — fit le charretier en regardant son compagnon d’un air interrogatif ;… mais son compagnon, brisé de fatigue, sommeillait à demi, indifférent à cette conversation philosophique, tandis que le petit vacher, accroupi, rassemblé sur lui-même, tremblait la fièvre.

La Robin, jugeant à la physionomie de son interlocuteur qu’il ne se trouvait pas encore complètement édifié, ajouta :

— Vois-tu, Simon, si notre sort était de manger de ces bonnes choses-là au lieu de notre pâtée… nous les mangerions ; mais puisque nous n’en mangeons pas, ni le maître non plus… c’est donc pas notre sort.

— Mais, tonnerre de Dieu ! — s’écria le charretier à bout de raisonnement, — à qui c’est-y donc le sort de les manger, ces bonnes choses ?

— C’est le sort des gens riches des bourgs et des villes, puisqu’ils les achètent et qu’ils les mangent, — répondit la Robin. — Comme c’est leur sort d’acheter nos veaux, nos moutons, nos bœufs dont nous ne goûtons jamais[1].

  1. On lit dans les œuvres de Jacques Bujault, œuvres d’un rare bon sens et d’une admirable intelligence pratique, véritable catéchisme de l’agriculteur :

    « La moitié du monde ne sait pas comment vit l’autre ; on ne se doute pas qu’il y a dans le département (Jacques Bujault parle du département des Deux-Sèvres, beaucoup moins pauvre que la Sologne, où nous faisons agir nos personnages) 270,000 individus qui ne mangent jamais ni bœuf, ni veau, ni mouton, et qu’un quart de demi-kilogramme de viande de porc PAR SEMAINE (un demi-quarteron) suffit à la consommation de chacun. (Jacques Bujault, 358. — Des races porcines cranaises. »)