je vous écoute, mais ensuite il faudra manger ces mûres que vous aimez et qui sont saines pour vous.
Le vieillard portait de nouveau les mains à son front, qu’il pressait convulsivement comme s’il eût voulu arrêter la raison et la mémoire qu’il sentait prêtes à lui échapper, il reprit d’une voix précipitée :
— Oui, c’est cela… Toute la journée je t’appelais,… c’était pour te parler du rêve… Je rêvais, vois-tu,… qu’on t’avait remise à moi toute petite, et que je l’avais apportée là-bas,… dans la lande aux vanneaux,… près de la glandée, et que je t’avais mise au milieu d’une touffe de bruyère ;… tu avais à peu près cinq ans,… et puis j’ai fait comme si je t’avais trouvée là par hasard…
— Vous !… vous ! — s’écria la jeune fille ne sachant si le vieillard délirait, ou se rappelait un fait depuis long-temps passé ; aussi répéta-t-elle avec stupeur : — Vous…
— Je ne sais pas,… c’est possible,… puisque je rêve cela maintenant…
— Mais ces rêves, père Jacques, — reprit Bruyère, toute bouleversée par cette révélation inattendue, — mais ces rêves,… C’est peut-être la mémoire qui, de loin en loin, vous revient… Mais qui donc m’avait remise entre vos mains ?
— Attends… C’était… une personne,… une personne,… je ne sais plus ;… il y avait pourtant en elle quelque chose… qui m’avait frappé… Qu’est-ce que c’était donc ?
Et de nouveau le vieillard passa sur son front sa main tremblante.