Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/185

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puis las de cette domesticité, vous vous étiez fait artisan, revenant ainsi au premier métier de votre enfance, afin de gagner ce qu’il vous fallait d’argent pour retourner en France.

» Un tiers survint, me reconnut, me nomma… à ma grande surprise, je l’avoue, vous n’avez en ma souveraine présence (ainsi que cela se dit à la cour) témoigné ni trouble, ni respect adulateur, et, à ma plus grande surprise encore, il n’y eut aucune jactance dans votre attitude, elle était digne et simple ; vivement frappé de rencontrer autant de tact et de mesure chez un artisan, éprouvant pour vous un vif sentiment de gratitude, je désirais que nous restassions seuls tous deux. Alors je vous demandai comment je pouvais reconnaître le service que vous veniez de me rendre ; je n’oublierai jamais votre réponse.

» — Sire, vous ne pouvez rien pour moi… je suis jeune et robuste, je n’ai pas de famille ; encore quelques jours de travail, et j’aurai gagné ce qu’il me faut pour retourner en France… Mais ici… dans ce pays aussi bien des artisans ne sont pas comme moi jeunes, robustes, sans souci de l’avenir… Il en est qui, chargés de famille, honnêtes et laborieux, endurent de cruelles privations ; songez au sort immérité de ceux-là, nos frères, Sire ; faites qu’ils souffrent moins, et je bénirai Dieu de m’avoir choisi pour sauver vos jours.

» Ces paroles, prononcées par vous avec âme et fermeté, me causèrent un nouvel étonnement ; pour la première fois (je vous l’ai dit depuis), ma pensée était appelée sur des misères toujours regardées comme fatales, inévitables et sans remède… La circonstance