Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/186

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bizarre qui nous rapprochait, donnait un caractère particulier à votre généreuse demande… De plus en plus frappé d’un désintéressement et d’une élévation de cœur que je croyais si rare parmi les gens de votre classe, je causai longuement avec vous, je voulus savoir toutes les particularités de votre vie… Vous avez sans doute pensé qu’une vaine curiosité avait une trop grande part dans mon désir, et vous m’avez fait comprendre que la confiance se gagne… mais ne se commande pas ; je vous ai alors parlé de la misère de ces gens que vous appeliez nos frères ; ceci ne vous était plus personnel, c’était la cause des vôtres que vous défendiez. Alors vous avez été plus qu’éloquent, vous avez été simple, touchant et vrai. Vous m’avez cité des faits, des chiffres irrécusables ; vous m’avez, en quelques mots, peint des tableaux d’une inexorable réalité ; vous m’avez révélé de terribles choses jusqu’alors inconnues pour moi, et si, lors de ce premier entretien, vous n’avez pas ébranlé des préjugés, des opinions, des convictions très-opiniâtres, vous m’avez laissé pensif et préoccupé.

» Je vous avoue mes soupçons avec d’autant moins de scrupule que vous les avez détruits ; un moment je crus que, vous exagérant l’importance de l’attention que je vous avais prêtée, votre orgueil… qui sait… votre ambition peut-être s’éveillerait, et que bientôt vous tâcheriez de vous rappeler à mon souvenir : il n’en fut rien. À votre insu j’appris que, le lendemain de notre entrevue, vous aviez repris vos travaux d’artisan, et que vous les continuiez depuis, gardant un secret absolu sur notre rencontre.