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La Levrasse se servait de sa profession de colporteur comme d’un manteau pour couvrir toutes sortes de métiers hasardeux : en apparence il vendait dans les campagnes des chansons, des almanachs et des images de piété ; mais, au vrai, il pratiquait la sorcellerie, jetait des sorts sur les animaux ou les en délivrait, faisait retrouver les objets perdus, guérissait les maladies qu’il emportait, disait-il, dans un sac mystérieux (le tout moyennant salaire), il vendait enfin en cachette des livres de magie, tels que le Grand et le Petit Albert, et surtout des livres et des gravures obscènes.

J’ai connu plus tard ces détails et d’autres encore.

Voyageant dans plusieurs contrées de la France et allant même, disait-on, jusqu’à Paris, le colporteur-sorcier ne paraissait jamais au bourg ou dans les environs durant la belle saison, pendant laquelle il exerçait le métier de saltimbanque. Il ne venait dans notre bourg que l’hiver et encore à de longs intervalles ; personne ne savait sa demeure ; il donnait ses audiences ou ses consultations chez les clients qui le mandaient, et il refusait de recevoir chez lui qui que ce fût.

Cet homme, jeune encore, avait une figure difficile à oublier : complètement imberbe et privé même de sourcils, il possédait cependant une chevelure noire comme de l’encre et longue comme celle d’une femme ; il relevait ses cheveux à la chinoise, et son épais chignon se rattachait avec un peigne de cuivre au-dessus de sa figure blafarde et terreuse, presque continuellement grimaçante, car la Levrasse attirait d’abord la foule autour de lui par ses lazzis, par ses grimaces et par l’étrangeté de son costume. Malgré tant d’éléments