Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/436

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les mystérieux domaines de l’ivresse, je trouvais une sorte de charme dans ces angoisses, et je pensais à ma joie lorsque, revenu à la raison, je me trouverais dans notre triste et paisible demeure.

Mais lorsque je venais à penser que je me trouvais réellement au pouvoir du colporteur, et que je ne reverrais plus jamais mon maître, froid, taciturne, indifférent, il est vrai, mais qui n’avait jamais été pour moi ni dur, ni méchant, je ressentais d’amers regrets, des transes terribles, et je maudissais ma fatale curiosité.

La tension d’esprit causée par ces pensées, jointe à la fatigue, à la frayeur, me jetèrent bientôt dans une sorte d’abattement, auquel succéda un sommeil à la fois pesant et agité.

Je ne sais depuis combien de temps je dormais, lorsque je fus réveillé en sursaut par les cris déchirants et les supplications d’un enfant.

Il faisait à peine jour ; une faible lueur, projetée par le crépuscule ou par la réverbération de la neige, filtrait à travers une petite croisée placée en face du foyer éteint auprès duquel je m’étais endormi.

Les cris de l’enfant qui m’avaient éveillé cessèrent un instant ; alors j’entendis et je reconnus la grosse voix de la femme qui avait accueilli la Levrasse à son arrivée, et qu’il avait appelée mère Major.

— Tu ne veux pas cramper en cerceau[1], — disait cette femme d’un ton courroucé.

— Je ne peux pas… je n’ai plus la force, — répondait une voix dolente.

  1. Nous expliquerons plus tard ce que signifient ces mots techniques.