Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/462

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bien que c’est bon d’être aimé… à défaut d’un père… d’un frère… laisse-moi être ce frère…

Bamboche resta silencieux ; je me hasardai à lui prendre la main, il ne la retira pas d’abord, puis faisant un brusque mouvement pour s’éloigner de moi, il dit :

— Bah !… c’est des bêtises… les loups n’ont pas d’amis, je serai loup, comme disait le cul-de-jatte.

N’osant pas insister davantage cette fois, de peur d’irriter de nouveau Bamboche, je repris :

— Et quand tu as été sur la grande route après la mort de ton père… qu’est-ce que tu es devenu ?

— Quand j’ai eu fini de manger le pain qu’il y avait dans le bissac, j’ai entré dans une belle maison de la route pour en redemander, disant que mon père était mort dans les bois ; un gros Monsieur qui avait un foulard sur la tête et qui déjeunait sous une treille où il y avait beaucoup de roses, m’a dit d’une voix dure : — Je ne donne jamais l’aumône aux vagabonds ; va travailler, paresseux. — Mon père est mort, je n’ai pas d’ouvrage. — Est-ce que je suis chargé de t’en procurer… de l’ouvrage, moi, va-t’en, tes guenilles puent à faire vomir. — Mon bon Monsieur… — Ici, Castor… — dit le gros homme en appelant un grand chien, qui accourait du fond du jardin, — kis… kis… mords-le… — D’abord je me suis sauvé, et puis après je suis revenu en me cachant le long d’une haie auprès de la belle maison ; j’ai ramassé des pierres et j’ai cassé deux carreaux… c’était sa tête que j’aurais dû casser… à ce brigand-là qui, au lieu de me donner un morceau de pain, voulait me faire mordre par son chien, — dit Bamboche, qui ressentait encore une haineuse rancune,