Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/463

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— oh ! je n’oublierai jamais ça… C’est bon… c’est bon, — ajouta-t-il avec un courroux concentré.

— Qu’est-ce que ça lui aurait fait, de le donner un peu de pain, à ce Monsieur ; il était donc bien méchant ?

— Les riches,… c’est tous brigands, ils ne donnent que ce qu’on leur prend, — disait le cul-de-jatte. — Et il avait raison, — reprit Bamboche.

— Alors, comment as-tu fait, quand tu n’as plus eu de pain et qu’on t’en a refusé.

— C’était l’automne, il y avait des pommes aux arbres, j’en ai abattu, et j’en ai mangé tant que j’ai pu.

— Et le vieux mendiant dont tu m’as parlé ?

— Un jour je dormais dans un bas-fond, le long d’une haie, pas loin d’une route, j’entends du bruit, je me réveille, je regarde à travers la haie, c’était un cul-de-jatte, les jambes en sautoir ; il s’approchait en marchant sur les mains qu’il avait fourrées dans des sabots en guise de gants ; il s’assoit, délicote les sangles qui lui attachaient les jambes autour du cou, se les détire, se met debout, et commence à piétiner, à sauter, à danser pour se dégourdir ; il n’était pas plus cul-de-jatte que moi.

— Pourquoi donc faisait-il comme s’il l’était, alors ?

— Pour tromper le monde donc, et attraper des aumônes… En allant et venant le long de la haie, il m’a vu ;… alors colère d’être surpris, il a pris un de ses sabots à la main, a traversé la haie et m’a dit : — Si tu as le malheur de dire que tu m’as vu et que je ne suis pas cul-de-jatte, je te rattraperai et je te crèverai la tête à coups de sabots. — J’ai eu peur, j’ai pleuré ; dans ce temps-là, j’étais couenne comme toi… Je pleurais.