Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/466

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Il continua comme s’il se fût complu dans ces souvenirs.

— Et puis il me parlait des femmes ! — dit Bamboche, dont les yeux étincelèrent d’une ardeur précoce.

— Des femmes ? — lui dis-je avec une surprise naïve.

— Eh ! oui, de ses maîtresses, qu’il battait et qui lui donnaient de l’argent.

Je ne comprenais pas, et de crainte de m’attirer encore les moqueries de mon compagnon, je lui dis :

— Et à la fin… tu l’as quitté… le mendiant ?

— On nous a arrêtés tous les deux.

— Qui ça ?

— Les gendarmes.

— Et pourquoi ?

— On l’a dit au cul-de-jatte… à moi pas ; on nous a renfermés dans une grange ; on devait le lendemain nous conduire à la ville ; la nuit, en me réveillant, j’ai vu le cul-de-jatte qui perçait le mur pour se sauver sans moi, je lui ai dit que s’il ne m’emmenait pas avec lui, j’allais crier ; il a eu peur, je l’ai aidé, nous nous sommes enfuis… Une fois loin, il m’a dit : — Toi, tu me gênes, tu me ferais reconnaître, — et il m’a donné un grand coup de bâton sur la tête ; je suis tombé du coup sans connaissance, j’ai cru que j’étais mort, mais j’ai la caboche dure, j’en suis revenu. Quand j’ai été tout seul, j’ai encore mendié le long des routes et à la porte des postes aux chevaux ; je faisais la roue devant les voitures, j’attrapais quelques sous et finalement je n’étais jamais plus d’un jour sans manger. Il y a un an, j’ai rencontré la Levrasse avec son monde et son fourgon ;