Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/469

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(J’avais environ onze ans, Bamboche devait avoir une ou deux années de plus que moi.)

— Non, — lui dis-je, tout confus de mon ignorance.

Alors, avec une assurance incroyable et un ton de supériorité railleuse, Bamboche, sans ménagement ni scrupules, éclaira mon innocence enfantine, et me raconta comment la mère Major l’avait séduit.

À cette époque, presque sans notion du bien et du mal, je n’étais et ne pouvais pas être frappé de ce qu’il y avait de repoussant, d’horrible dans la monstrueuse dépravation de cette mégère ; aussi, la cynique révélation de Bamboche ne me fit éprouver qu’un assez grand étonnement, accompagné de cette sorte de honte que cause la peur du ridicule ; car je rougissais beaucoup d’être resté si long-temps ignorant.

— Et pourquoi maintenant ne veux-tu plus être l’amant de la mère Major ? — lui dis-je tout troublé par cette révélation inattendue.

Bamboche ne me répondit pas d’abord…

Il garda quelques moments le silence ; puis, obéissant à ce besoin d’expansion naturel aux amoureux de tous les âges, et songeant pour la première fois (il me l’a depuis avoué) qu’un ami devenait un confident obligé, cédant aussi à un sentiment de sympathie aussi inexplicable qu’involontaire, que je lui avais soudain inspiré, il me dit, avec autant d’émotion que de sincérité :

— Écoute… quand tu es venu, j’ai eu plaisir à te faire du mal, parce que depuis long-temps on m’en fait… tu t’es bravement défendu… tu m’as mis sous tes genoux, ça m’a rendu plus méchant encore… à ce mo-