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Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/95

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tout un chacun l’aime autant que si l’on était son frère, parce qu’elle se sert de son charme pour faire du bien à tous.

Ce crescendo de récriminations devenait inquiétant. À l’irritation soulevée par l’insolente audace de Scipion se joignait l’animadversion que son père s’était généralement attirée par sa dureté, par ses dédains haineux, hautement affichés, animadversion long-temps contenue par l’habitude de la résignation, par le tout-puissant prestige dont la richesse est encore entourée dans ces contrées presque désertes.

Ces figures, naguère si humbles, si craintives, devenaient menaçantes : Mme Wilson et sa fille, de plus en plus effrayées, se rapprochèrent du comte et de Scipion, pendant que Beaucadet, mettant la main à la poignée de son sabre, disait à ses hommes :

— Attention au commandement !

Puis, s’adressant aux paysans ameutés, dont le cercle rapprochait de plus en plus du vicomte et de son père, le sous-officier ajouta de sa voix la plus imposante :

— Ra-sem-blement ! au nom de la loi, que personne n’est censé ignorer : Ra-sem-blement ! dissipe-toi, et retournez à vos champs.

La voix de Beaucadet fut méconnue, les cris, les reproches redoublèrent de violence, encore exaspérés par l’attitude provocante du vicomte ; car durant cette nouvelle et rapide péripétie, Scipion ne s’était pas démenti : sachant son répertoire d’Opéra par cœur, il se rappelait sans doute le final de l’acte du bal masqué chez Don Juan, alors qu’après sa brutale tentative