Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/94

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dont la beauté singulière, la bizarrerie charmante et la touchante bonté étaient populaires dans ce pauvre pays, superstitieux et ignorants, les paysans sentirent leur courroux, leur indignation contre le vicomte s’augmenter encore.

Beaucadet s’aperçut, mais trop tard, qu’il venait d’empirer la situation de Scipion ; les murmures, d’abord sourds, éclatèrent tout-à-coup en plaintes et en imprécations.

— Bruyère !… pauvre petite !…

— Le bon génie du pays !

— Et si douce !… si bonne !

— Avoir abusé d’elle, c’est de grande méchanceté.

— Mais les bourgeois… ça ose tout contre le pauvre monde !

— Et on ose dire qu’elle a tué son enfant…

— Elle… oh ! jamais !

— Et on nous appelle brutes ! poltrons !

— Si nous sommes des brutes, à la fin aussi les brutes se revengent.

— Oui, vous avez beau nous fumer au nez en ayant l’air de vous moquer de nous, Monsieur, — dit l’un en s’adressant à Scipion, — vous ne nous ferez pas peur…

— Et si la pauvre Bruyère était ma sœur, — reprit un autre en brandissant un fléau, — il y aurait de votre sang après ce fléau-là…

— Chère petite Bruyère, — ajouta une voix émue, — c’est quasi notre sœur, car, quoique charmée[1],

  1. Douée d’une influence surnaturelle.