Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1865-1866.djvu/320

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Poète amer et doux, tu nous donnes envie
D’arrêter dans nos bras nos travaux généreux,
D’exhaler en soupirs tout le feu de la vie,
De laisser s’arranger les citoyens entre eux,
De fuir dans les boudoirs leurs voix tumultueuses,
Et d’étendre nos corps pour faiblir de langueur
Dans le baume énervant des rieurs voluptueuses,
Dans les navrants plaisirs qui dissolvent le cœur.
Le monde autour de nous est plein d’un bruit de chaînes,
On dirait que ton sein n’en a rien entendu,
Car la cité pour toi ne vaut pas tant de peines ;
Toi qui la dis mauvaise, à qui donc t’en prends-tu ?
Oui, l’âge d’or est loin, mais il faut qu’on y tâche ;
Le bonheur est un fruit qu’on abat pour l’avoir ;
Si tu n’étais pas grand, je t’appellerais lâche,
Car je n’accepte pas le joug du désespoir !
Vois Spartacus qui songe, et, gonflant sa narine,
L’œil creux, voûtant son dos comme un lion traqué,
De son poing frémissant serre sur sa poitrine
Avec l’anneau rompu le droit revendiqué.
Et vois Léonidas : dans sa froideur hautaine
Il montre aux siens leur proie, et, près de les quitter,
Les convie aux enfers où, de la part d’Athène,
L’ombre d’Harmodius va les féliciter.