Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/105

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Quand notre soc retourne une glèbe féconde.
Que s’il n’en était point, tout sans notre labeur
D’un essor spontané naîtrait beaucoup meilleur.
     Ajoute que la mort désagrège la chose
Sans réduire jamais ses germes à néant ;
S’il pouvait rien périr de ce qui la compose,
La chose périrait, disparue à l’instant,
Sans attendre un agent qui, propre à la dissoudre,
Dût miner ses liens pour la réduire en poudre.
Mais un germe éternel fixe chaque produit ;
Jusqu’à ce qu’un agent vienne assaillir cet être,
Ou, le désagrégeant, dans ses pores pénètre,
La Nature ne souffre en rien qu’il soit détruit.
Si l’âge enfin, des corps que son travail dissipe
Tuant le fond, consume en entier leur principe,
D’où vient le divers sang des êtres que Vénus
Rend au jour de la vie ? Où puise, eux revenus,
Le sol riche un suc propre à nourrir chaque type ?
Quelle eau la source vive et le fleuve à la mer
Prodiguent-ils ? Quels feux donne aux astres l’éther ?
Car le passé sans borne et la vie actuelle
Ont dû tarir tout être à substance mortelle.
Que s’il dure aujourd’hui, s’il a toujours duré
Des corps par qui ce monde est fait et réparé,
Il faut bien, les douant d’une immortelle essence,
De rentrer au néant leur nier la puissance.
Si la matière enfin, d’un nœud plus ou moins fort
Se liant, ne restait l’éternel fond des choses,
Tout, d’une même atteinte et par les mêmes causes,
Périrait au toucher seulement de la mort,