Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/106

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Faute de corps massifs, d’éternelle substance,
Dont quelque force dût rompre la consistance.
Mais non ! les éléments formant de divers nœuds
Tandis que la matière est éternelle en eux,
Les corps restent entiers tant que nul choc n’arrive
Assez fort pour briser leur trame respective ;
La mort réduit ainsi l’objet à l’élément
Et, loin d’anéantir, désunit seulement.
     Il pleut et l’eau périt, quand l’éther, divin père,
La précipite au sein maternel de la terre ;
Mais, vois : le beau blé monte, et le rameau verdit,
Et l’arbre cède au poids de ses fruits et grandit ;
Vois donc : le genre humain, les bêtes s’en nourrissent,
Et les riches cités d’un jeune sang fleurissent.
Par tous les bois feuillus chantent les nouveaux nids ;
Las du faix de leur graisse, en des prés bien fournis,
Se couchent les troupeaux, et, gonflant la mamelle,
Le blanc laitage coule, et la race nouvelle,
Folle, sur les gazons, d’un pied encor peu sûr,
Bondit, le cerveau jeune enivré de lait pur.
Quand donc la chose meurt, tout ne meurt pas en elle :
Des débris de chaque être un nouvel être sort ;
Ainsi toute naissance est l’œuvre d’une mort.

     Comme j’ai dit que rien du néant ne peut naître
Et que rien n’y retourne après avoir eu l’être,
Tu te prends à douter de mes enseignements,
Parce que l’œil ne peut saisir les éléments ;
Je te vais donc prouver qu’il faut que l’on conçoive
Dans tout objet des corps, sans que l’œil les perçoive.