Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/113

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     Ces deux principes font dans tout objet l’essence ;
Et d’elle tout le reste, accident, prend naissance.
L’essence ne se peut de l’objet détacher
Sans le détruire : ainsi, le poids dans le rocher,
La chaleur dans le feu, dans l’eau l’état fluide,
Ce qu’on palpe en tout corps, ce qui cède en tout vide.
Pour ce qui vient et fuit, laissant inaltéré
Le fond de l’être, ainsi la liberté, la guerre,
L’esclavage, la paix, le luxe, la misère,
Accident est le nom justement consacré.
     Le temps n’est point par soi ; ce n’est que par les choses
Que ton esprit conçoit l’être vain que tu poses
Sous les noms de présent, de passé, d’avenir ;
Car le temps n’est sensible, il faut en convenir.
Que dans le mouvement ou le repos qui dure,
Quand d’Hélène on te dit réelle la capture,
Et réels les Troyens domptés par les combats,
Certes cette aventure en soi n’existe pas :
Des âges accomplis l’irrévocable fuite
Emporta les héros et leur œuvre à leur suite,
Car rien ne s’est jadis exécuté par eux
Qui ne fut l’accident des choses et des lieux.
     Enfin, si tu niais l’Espace et la Matière,
Bases de la nature et de l’histoire entière,
Pour la beauté d’Hélène une ardente fureur
N’eût point, soufflant au cœur du Phrygien sa flamme,
Allumé ces combats pleins d’une illustre horreur,
Ni le cheval de bois n’eût, pour brûler Pergame,
Dans une nuit perfide enfanté l’Achéen.
     L’action n’a donc pas, à fond considérée.