Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Par soi, comme les corps, existence et durée,
Ni comme l’être vide un fondement certain ;
Mais elle est l’accident, elle est ce qui varie,
Dans la masse et le lieu, théâtre de la vie !
     Tout corps, par son essence, ou n’est qu’un élément,
Ou d’éléments ensemble agrégés se compose ;
S’il est élémentaire, à l’effort violent
Pour le broyer sa masse invincible s’oppose.
     Mais tu pourrais douter qu’au monde il existât
Nul corps dont la matière aux efforts résistât :
Le fer incandescent s’amollit sous la braise ;
La voix, les cris, la foudre ont accès par les murs ;
L’or se dissout au feu qui tord ses lingots durs ;
Le roc, fumant de rage, éclate en la fournaise ;
La flamme dompte et fond la glace de l’airain ;
L’argent, sous le flot lent des liqueurs qu’on y verse,
Fait sentir la chaleur ou le froid qui le perce,
Sitôt que le convive a pris la coupe en main.
L’existence du plein te paraît donc peu sûre.
Mais puisque la Raison l’exige et la Nature,
Écoute-moi : bientôt tu m’auras avoué
Que d’une consistance éternelle est doué
L’élément primitif, germe de toute chose,
Où l’œuvre universel se résume et repose.
     Je l’ai dit : la Nature est double ; et tu comprends,
Depuis qu’il t’est prouvé combien sont différents
Et le corps et le lieu, champ de toute naissance,
Que chacun d’eux sépare et garde son essence :
Partout où git l’espace en mes vers appelé
Le Vide, point de masse ; et partout où réside