« Puis, quand j’enfonçais ma pensée
Dans un problème ténébreux,
La Vérité, ma fiancée,
M’avait seule pour amoureux,
« Et, toute à son œuvre jalouse,
La science chassait l’amour,
Car c’est l’esprit seul qu’elle épouse.
J’aimais et pensais tour à tour.
« Mais j’ai bientôt souffert de diviser mon âme.
À la fin j’ai voulu régénérer en moi
Le feu sacré du Beau, du Vrai, dans une flamme
Qui fût ensemble ardente et claire, dans la Foi !
« Alors, sacrifiant la chair idolâtrée
Au pain de la divine essence revêtu,
La création vaine à l’Éternel qui crée,
Mon génie au Credo, mes sens à la vertu,
« J’ai désespérément précipité mon doute
Dans ce brasier profond, brûlant et radieux,
Comme Empédocle osa, pour abréger la route,
Par un gouffre embrasé fuir au-devant des dieux !
« Mon génie est sorti de sa grande aventure
Renouvelé, serein, mesurant bien ici
Sa force et sa limite, oubliant la torture
De ce doute orageux qui l’avait obscurci.
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