Aller au contenu

Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1879-1888.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


DEVANT LA VÉNUS DE MILO


A Théodore de Banville.



I

Ton marbre en même temps nous dompte et nous rassure,
Statue impérieuse et sereine à la fois ;
On peut te regarder et t’aimer sans blessure,
Et noble est la leçon de tes lèvres sans voix.

Eros, le dieu léger des amours vagabondes,
Ne peut être, ô Vénus de Milo ! ton enfant :
Tu n’es pas la déesse où l’écume des ondes
Fit naitre un cœur impur, mobile et décevant ;

Non, ta forme nous parle un grave et fier langage
Qui vibre au fond de nous bien au delà des sens.
Et le philtre sacré que ton beau corps dégage
Ne trouble que notre âme et s’y change en encens.

Dans les lignes du marbre où plus rien ne subsiste
De l’éphémère éclat des modèles de chair,
Le ciseau du sculpteur, incorruptible artiste,
En isolant le Beau, nous le rend chaste et clair.