Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1879-1888.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Si tendre à voir que soit la couleur d’un sein rose,
C’est dans le contour seul, presque immatériel,
Que le souffle divin se révèle et dépose
La grâce qui l’exprime et ravit l’âme au ciel.

Quel visiteur profane, hôte d’un statuaire,
Devant la forme calme et l’artiste anxieux
N’a senti l’atelier devenir sanctuaire
Au colloque muet du modèle et des yeux ?

La chair se sanctifie au cœur qui la contemple ;
Assise sur l’autel dans le temple du Beau,
Nul rêve inférieur ne l’outrage en ce temple
Où le désir se tait comme dans un tombeau.

Où n’ose tressaillir nulle autre convoitise
Que celle qui livra Prométhée au vautour,
Où la Beauté, miroir de l’idéal, attise
Une soif de créer plus haute que l’amour,
 
Où l’artiste, imposant lui-même à la Nature
Un type qu’il choisit et n’a pas hérité,
Plus que père, se donne un survivant qui dure
Aussi longtemps tout seul qu’une postérité.

La figure, à l’appel de l’ébauchoir agile,
Se laissant deviner lentement, puis saisir,
Au soleil par degrés sort de l’obscure argile
Et s’offre toute nue aux yeux purs de désir ;