Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1879-1888.djvu/47

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Ils voyaient s’animer et s’alanguir les danses
Sans que l’allure humaine eût aucun rythme bas,
La grâce y dédaigner d’hypocrites prudences
Sans avilir jamais les gestes et les pas.

Ils y pouvaient surprendre une attitude heureuse,
Une élégance innée éclose sans efforts ;
L’âme enfin d’une race aimable et généreuse
Librement devant eux souriait dans les corps.

Mais plaignons nos sculpteurs, nés loin de la contrée
Où florissait la forme en liberté jadis ;
Jamais dans sa candeur ils ne l’ont rencontrée
Sous l’avare soleil de nos pâles midis.

Nous foulons un sol froid qu’à peine un rayon touche,
Où marchent tous les corps cruellement vêtus,
Où la chaste Beauté, menacée et farouche.
Met la peur du regard au nombre des vertus.

Enfants perdus de l’art sur ce sol impropice,
En un siècle rebelle au pur amour du Beau,
Les sculpteurs n’ont point fait le lâche sacrifice
De l’austère Idéal aux mœurs du temps nouveau.

Nous leur devons la saine et consolante joie
De voir le marbre encore offrir des traits humains.
Des contours que la force ou la grâce déploie.
Où l’homme s’est lui-même achevé de ses mains.