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réflexions sur l’art des vers

l’obscurité, se laissent entraîner à imiter ceux-là afin de forcer l’attention publique, faute de réussir, pour la mériter, à traduire cette nuance délicate qui seule, aujourd’hui, imprimerait à leurs œuvres leur originalité ? Ces égarés sont à plaindre, car ils ont pour excuse l’excessive difficulté de percer, créée aux nouveaux venus par la concurrence énorme de leurs prédécesseurs et de leurs contemporains.

Cette concurrence est, heureusement, loin de décourager tous les débutants de valeur ; elle en aiguillonne beaucoup, au contraire. De là, les remarquables efforts tentés par les plus vaillants pour tirer tout le parti possible du vocabulaire français, pour faire fléchir la rigidité des formes traditionnelles du vers et les approprier à une signification plus subtile et plus aiguë. La tâche est haute et malaisée, et leur hardiesse semblerait désespérée, si, visiblement, leur confiance n’égalait leur audace. Il ne faut ni s’étonner ni sourire d’une pareille entreprise ; elle était imminente, elle est sérieuse. Par les mobiles les plus naturels toute la dernière génération d’artistes est poussée