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réflexions sur l’art des vers

les onomatopées sont rares ; il n’y a, le plus souvent, rien de commun entre les qualités acoustiques du nom et l’essence de la chose nommée, de sorte que le lien qui unit le mot à l’objet qu’il signifie est tout conventionnel. La convention qui l’a créé est un accord instinctif ; elle se dissimule, elle est presque toujours tacite, inconsciente, immémoriale, elle n’en est pas moins réelle. Ah ! si tout le vocabulaire était fait d’onomatopées, les mots, au lieu d’être, en immense majorité, uniquement symboliques, seraient tous expressifs, car leurs sons constitutifs participeraient de la nature même de leurs objets et n’y seraient pas accolés comme de simples étiquettes. Le vocabulaire y gagnerait tous les avantages du signe naturel sur le signe conventionnel. Mais la conception d’un vocabulaire entièrement expressif est chimérique : à mesure que l’esprit humain, par le progrès des sciences, engendre des idées plus générales, plus abstraites et partant plus importantes, les notations de la pensée se font de moins en moins concrètes à leur tour ; elles tendent à devenir algébriques, c’est-à-dire symboliques par