Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/107

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Ainsi le vent flagelle avec fougue les eaux,
Répand la nue au loin, coule les gros vaisseaux,
Casse, en tourbillonnant à travers les campagnes,
Les grands arbres, et bat les sublimes montagnes
D’un souffle aux pins fatal : tel le vent frémissant
Se déchaîne en furie et hurle menaçant.
Il est donc fait de corps qui, soustraits à la vue,
Balayant et la mer et la terre et la nue,
Entraînent tout obstacle à leur vol turbulent.
Ces corps fluides vont propageant leurs ravages,
Tout comme on voit soudain l’eau mobile en coulant
Monter, quand vient l’accroître, après d’amples orages,
Un déluge apportant de la cime des monts
Avec des troncs entiers des fragments de branchages.
L’impétueux torrent force les meilleurs ponts ;
Il court sus aux piliers, tourbillon gros de pluie ;
La masse, sous l’effort terrible qu’elle essuie,
Croule avec un grand bruit ; les lourds quartiers de roc
Sont roulés sous les flots ; rien ne résiste au choc !
Or, le souffle du vent doit courir de la sorte :
Quand, pareil au torrent, il fond sur un objet,
Il l’assaille, des coups répétés qu’il lui porte
Le renverse, l’enlève, et tournoyant jouet
Dans les cercles fougueux de la trombe il le roule.
Donc le vent cache en soi des corps premiers en foule,
Puisqu’il imite ainsi les mœurs, le mouvement
Des grands cours d’eau qui sont des corps évidemment.
     On ne peut voir non plus des choses odorantes
Aux narines monter les senteurs différentes ;
Le chaud ne se voit pas ; le froid de même aux yeux