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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

pas venir à eux, ils eurent le courage de se porter avec plus d’énergie que jamais du côté des missions. De 1636 à 1640, Tadoussac devint un poste fixe où les Montagnais rencontraient toujours un ou deux prêtres. Sillery prospérait. Trois-Rivières prenait une importance réelle à cause des nombreuses bandes d’Algonquins qui y passaient en toutes les saisons. Les colons, choisis en France parmi l’élément catholique, s’étaient toujours prêtés aux vues des apôtres du Canada. « Plût à Dieu, dit le père LeClercq, que depuis ce temps (1615) jusqu’aujourd’hui (1680), à mesure que la colonie s’est accrue et que le nombre des missionnaires a augmenté, tout le monde eût également concouru à la conversion des barbares, comme le petit nombre d’habitants et de familles françaises qui étaient alors au pays y travaillaient avec nos pères ; car, quoi qu’il en soit du zèle des messieurs de la Compagnie, l’on sait que l’on suppléait à leur défaut dans le pays, et que le petit troupeau d’habitants et de missionnaires travaillait infatigablement à humaniser, à policer, et à préparer les sauvages à notre sainte foi[1]. » Cet accord entre les habitants et les religieux sur l’article de la conversion des sauvages n’empêchait point les premiers de regretter les récollets, leurs anciens pasteurs. Ils se seraient probablement accommodés des jésuites ; mais ceux-ci voulaient être, avant tout, les évangélisateurs des races indigènes ; il en résultait qu’on ne les regardait ni comme des curés ni comme des prêtres attachés au pays. Le père Le Clercq expose ainsi la situation des habitants : « Deux députés arrivèrent de Canada en France (1639) et s’adressèrent secrètement à nos pères (récollets) de Paris pour leur représenter la gêne où étaient les consciences de la colonie de se voir gouverner par les mêmes personnes pour le spirituel et pour le temporel, nous conjurant de faire nos diligences en cour afin d’obtenir notre rétablissement. Le père Paul Huet les accompagna chez quelques-uns des messieurs de la compagnie qui étaient de nos amis et qui nous ouvrirent librement leurs pensées, nous témoignant être persuadés de la nécessité de notre retour, même pour leurs propres intérêts, et nous promettant toutes sortes de faveurs[2]. » Richelieu se montra favorable à cette démarche ; toutefois, elle rencontra ailleurs des obstacles insurmontables. Le 20 janvier 1642, le cardinal semble avoir repris l’affaire, car il donna ordre à Guillaume de Caen de faire passer à Québec trois récollets ; mais les jésuites exposèrent leurs remontrances, et rien ne se fit. Une lettre du roi, datée du 12 avril 1642, confirma les jésuites dans la prétention qu’ils soutenaient[3].

C’est au pays des Hurons que les jésuites ont le plus brillé. Le père Le Clercq observe cependant que les conversions ne devaient pas être aussi nombreuses qu’ils le disaient, attendu, ajoute-t-il, que les sauvages dont on a connaissance dans les postes français, et qui sont l’élite de leurs nations, s’y montrent parfaitement barbares, ne suivant les quelques pratiques religieuses qu’on leur impose que pour faire plaisir aux missionnaires, lesquels sont, à leurs yeux, des grands chefs français. À ce titre, c’étaient des espèces d’otages dont la

  1. Premier Établissement, I, 334.
  2. Idem, I, 478.
  3. Harrisse : Bibliographie et cartographie, p, 296.