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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

ture laissée au haut de la cabane, et qui est à la fois cheminée et fenêtre… Les sauvages ont tenu plusieurs assemblées très nombreuses pour aviser aux moyens de nous forcer à quitter le pays. Beaucoup de capitaines ont voté notre mort ; mais pas un n’a osé s’en faire l’exécuteur, et jusqu’à présent Dieu nous a préservés de leurs coups. Pendant tout l’hiver, nous nous attendions chaque jour à apprendre la mort de quelqu’un de nos missionnaires, et chaque jour en disant la sainte messe, nous faisions la communion comme devant nous servir de viatique. Tout s’est borné à quelques coups de bâton, et au chagrin de voir renverser les croix que nous avions dressées, et réduire en cendres une de nos cabanes. Un seul des nôtres a vu couler son sang, sed non usque ad mort… Dès qu’ils ont fait un prisonnier, ils lui coupent les doigts des mains, il lui déchirent avec un couteau les épaules et le dos, ils le garottent avec des liens très serrés, et le conduisent en chantant et en se moquant de lui, avec tout le mépris imaginable. Arrivés à leur village, ils le font adopter par quelqu’un de ceux qui ont perdu leur fils à la guerre. Ce parent simulé est chargé de caresser le prisonnier. Vous le verrez venir avec un collier en fer chaud, et lui dire : « Viens, mon fils ; tu aimes, je crois, à être bien orné, à paraître beau. » En le raillant ainsi, il commence à le tourmenter depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête, avec des tisons ardents, avec la cendre chaude, en perçant ses pieds et ses mains avec des roseaux ou des pointes de fer. Quand la faiblesse ne permet plus au captif de se tenir debout, on lui donne à manger, et puis on le fait marcher sur les charbons de plusieurs brasiers placés en rang. S’il est épuisé, ils le prennent par les mains et les pieds et le portent sur ces brasiers. Enfin ils le conduisent hors du village, et le font monter sur une estrade, pour que tous les sauvages, le voyant dans ce pitoyable état, puissent satisfaire la rage de leur cœur. Au milieu de tous ces supplices, ils l’invitent à chanter, et le patient chante afin de ne pas passer pour lâche[1]. ”

Le père de Brebeuf avait reçu aux Trois-Rivières, l’automne de 1643, six Hurons qui venaient se faire instruire dans le dessein de retourner dans leur pays répandre les semences de l’Évangile. À leur départ des Trois-Rivières, fin d’avril 1644, ils étaient accompagnés du père Bressani et d’un jeune Français lorsque, parvenus au lac Saint-Pierre, l’une des dix bandes d’Iroquois qui étaient déjà en campagne les surprit et les enleva. La consternation devint plus grande que jamais dans le pays. La puissance des Iroquois prenait des proportions effrayantes. Sillery fut déserté. L’été se passa en combats et en alertes. Le 30 mars, M. de Maisonneuve avait fait une sortie contre ces barbares et soutenu une lutte très chaude, à l’endroit où se trouve à présent la place-d’armes de Montréal ; il avait même tué de sa main le chef des ennemis ; mais, accablé par le nombre, il s’était retiré dans le fort. Au mois de juillet, le capitaine de la Barre arriva de France « avec beaucoup de gens, partie desquels étaient d’une compagnie que la reine envoya cette année en Canada sous sa conduite, laquelle compagnie fut distribuée dans les différents quartiers de ce pays ; et l’autre partie de ce monde venait aux frais de messieurs du Montréal, lesquels firent encore cette année de très grandes dépenses pour ce lieu[2]. »

  1. Premières missions des jésuites, 195, 199, 203, 207-8.
  2. Dollier de Casson, Histoire du Montréal, 55.