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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

— Voyez-vous, M. de Malherbe, lui dit quelqu’un, voyez-vous cette dame assise près de la duchesse de Chose ? c’est madame de Guercheville, c’est « la vertu récompensée. »

— Oui, reprit Malherbe, mais je vois aussi le vice encore mieux traité ! Il montrait la connétable de Lesdiguière.

Madame de Guercheville devint première dame de la reine. Elle mourut à Paris en 1632.

Toutes choses entendues, elle versa les mille écus au Frère Gilbert du Thet, Jésuite, qui partait pour l’Acadie et devait les remettre à quelque marchand de Dieppe. Le Père Biard nous fait entendre que non-seulement Poutrincourt eut l’adresse de tirer quatre cents écus de cette somme, mais encore qu’il plaça au commandement du navire un de ses employés, nommé Simon Imbert, cendrier et ancien tavernier de Paris, à qui il avait fait la langue. Le 31 décembre 1611, ce vaisseau partit de Dieppe et arriva à Port-Royal le 23 janvier.

C’est à ce voyage, si nous ne nous trompons, que furent amenés les chevaux que les Anglais enlevèrent du Port-Royal, en 1613, et qu’ils mangèrent quelque temps plus tard, faute de nourriture. « Nous savons en effet, dit M. Rameau, par des documents authentiques, que chaque année, depuis 1609, il y eut une suite toujours croissante de cultures et de défrichements dans le haut de la rivière, vers le lieu, probablement, qui fut plus tard appelé la Prée-Ronde ; non-seulement la colonie possédait du bétail, mais on élevait des poulains, des veaux et des pourceaux ; de plus, il paraîtrait, d’après une lettre mentionnée par Lescarbot, que Poutrincourt serait parvenu à expédier de la Rochelle à Port-Royal, en mai 1613, un mois et demi après le départ de La Saussaye, un navire chargé de provisions ; mais ce fait n’est pas très certain, car il n’est mentionné que dans l’édition de 1617. »

Jean de Biencourt était occupé de disputes de commerce avec Robert Gravé, fils de Pontgravé. Les Pères Biard et Massé finirent par amener une réconciliation. Les Malouins, qui pêchaient ou trafiquaient avec les Sauvages, étaient très mécontents de la taxe que Biencourt prélevait sur leurs marchandises. Toutes ces scènes désagréables, racontées par le Père Biard, jettent beaucoup de lumière sur les mœurs du temps.

« Cette absence de Poutrincourt devint l’origine de funestes désordres : Biencourt avait les qualités et les défauts de la jeunesse ; instrument utile entre les mains de son père, il se laissa dominer, quand il fut seul, par cette ardeur inexpérimentée qui se résout malaisément à ménager les hommes et les circonstances ; pourvu de peu d’instruction, et imbu des préjugés qu’une partie de la noblesse nourrissait alors contre les Jésuites, il subissait en outre l’influence des marchands de Dieppe, que ceux-ci avaient supplantés dans l’entreprise ; il accueillait donc assez froidement ces associés, que la nécessité lui avait imposés, bien plus que son propre gré ; les deux Pères Jésuites se sentirent piqués au jeu par le mauvais vouloir qu’ils rencontrèrent, et, parfois, ils cherchèrent trop à montrer qu’ils étaient non-seulement des auxiliaires, mais des co-intéressés ; ils en avaient incontestablement le droit, mais peut-être eût-il été désirable, pour la bonne direction de l’entreprise, de les voir un peu modérer la rigueur du droit, afin de conserver l’union et l’unité d’action dans la colonie.