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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

trafiquer avec Canada, et non autrement. » Voyant cette attitude des Malouins, qui feignaient de ne reconnaître que M. de Monts, le conseil du roi envoya au procureur de la communauté une nouvelle copie de ses instructions et des pouvoirs accordés au prince de Condé : le tout fut sèchement noté au registre de Saint-Malo le 22 décembre 1612, sans commentaire. Le 16 janvier 1613, un nouveau procureur, Jean Boullain, sieur de Larivière, étant élu, se chargea de remontrer au conseil du roi et au prince de Condé combien il serait à propos de permettre le commerce des habitants de Saint-Malo avec les Sauvages du Canada, notamment ceux qui y étaient déjà engagés, Thomas Porée Les Chesnes, Pierre Eon les Hasez, Thomas Cochon les Lauriers, Pierre Trublet le Jardrin, Vincent Gravé le Houx et leurs associés. Il s’agissait d’obtenir pour les armateurs de Saint-Malo un privilége distinct de celui du prince de Condé. La requête resta sans effet.

De plus, le parlement de Rouen ne voulut pas laisser publier la commission du prince de Condé, sur le chef que Sa Majesté « se réservait la seule connaissance des différends qui pourraient survenir en cette affaire. » Champlain fit à ce sujet trois voyages à Rouen ; le roi se désista quelque peu, et la commission fut publiée dans tous les ports de Normandie, au grand mécontentement des armateurs de cette province, qui se voyaient repoussés comme ceux de Saint-Malo. Toutefois, il leur restait la ressource de faire partie de la nouvelle association. Celle-ci ne pouvant être fondée que plus tard, à cause des contre-temps que ce projet rencontrait, le prince de Condé se borna, pour le moment, à donner des lettres d’autorisation à Champlain, afin que personne ne le gênât dans ses entreprises. En somme, Condé prêtait son nom et recevait en échange de ce service un cheval du prix de mille écus par année ; Champlain était l’âme et le bras de toute l’organisation.

Ces préoccupations avaient empêché Champlain de préparer les ouvriers, etc., dont il avait besoin pour agrandir l’habitation de Québec qui était fort délabrée. Il dût se borner à exiger des propriétaires des vaisseaux patronés par Condé qu’ils lui laisseraient chacun quatre[1] hommes, une fois rendus sur le Saint-Laurent, pour les découvertes et la guerre.

Un navire devait appareiller de la Rochelle, trois de Rouen ou de Honfleur. Pontgravé et Champlain partirent de ce dernier port le 6 mars 1613, et arrivèrent, le 29 avril, près de Tadoussac.

Champlain était accompagné d’un nommé Lange, de Paris, qui tournait assez lestement une strophe, comme le font voir les vers suivants dont il fait honneur au fondateur de Québec. Nous devons observer que celui-ci a été chanté, de son vivant, par cinq ou six poètes :

Je vois de l’étranger l’insolente arrogance,
Entreprenant par trop, prendre la jouissance
De ce grand océan qui languit après vous.
Et pourquoi le désir d’une belle entreprise
Vos cœurs, comme autrefois, n’époinçonne et n’attise ?
Toujours un brave cœur de l’honneur est jaloux

  1. Ailleurs, il dit six hommes.