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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Trois vaisseaux indépendants, partis de France avant Champlain, arrivèrent après lui à Tadoussac. Dans l’un était le chirurgien Boyer, de Rouen, et les deux autres étaient sous les ordres des sieurs de la Moincrie et la Tremblaye, de Saint-Malo. Ces derniers n’avaient pas eu connaissance de l’interdiction du commerce du Canada ; mais ils se soumirent sans hésiter dès qu’on leur en eût donné lecture.

Le 2 mai, Champlain et Lange partirent pour Québec, où ils arrivèrent le 7, et « trouvâmes ceux qui y avaient hiverné en bonne disposition, sans avoir été malades, lesquels nous dirent que l’hiver n’avait point été grand et que la rivière n’avait point gelé. Les arbres commençaient aussi à se revêtir de feuilles et les champs à s’émailler de fleurs. »

C’est cette année que Guillaume Couillard arriva à Québec, engagé par la compagnie, et peut-être aussi Abraham Martin, Pierre Desportes, Nicolas Pivert et Jacques Hertel.

Sur la carte qui accompagne le rapport de Champlain, cette année, on lit : « Terre défrichée où l’on sème du blé et autres grains. » C’est l’Esplanade du fort, ou la Grande-Place, ou encore l’une et l’autre. Le « lieu où l’on amassait les herbages pour le bétail que l’on y avait amené, » semble être quelque part sur l’allée du Mont-Carmel.

Deux éléments de colonisation, ou de stabilité, si on l’aime mieux, manquaient à Québec : la femme et le prêtre. Des travaux sérieux étaient en bonne voie de réussite ; les hommes comprenaient le climat et s’arrangeaient pour n’en pas être incommodés ; les subsistances devaient être abondantes dans un pareil sol ; le bétail de France prospérait : c’étaient, entre autres, le mouton et la vache de Normandie, dont la rusticité, la chair compacte, la résistance à la fatigue et aux intempéries de l’air sont si remarquables. Nous ne savons au juste quelle année la première importation de ces animaux eut lieu ; on voit ici que ce fut de 1608 à 1612.

Poutrincourt, à Port-Royal, était plus avancé. Il avait accordé des terres à quelques-uns de ses hommes ; deux ou trois missionnaires évangélisaient les Sauvages et contenaient les Français dans les bornes de la morale. Enfin, il avait fait venir des femmes, qui complétaient la physionomie d’un établissement susceptible de s’agrandir.

La saison ayant été hâtive, les Algonquins s’étaient assemblés de bonne heure ce printemps (1613) au nombre de douze cents guerriers, et avaient fait une expédition au pays des Iroquois, ne comptant plus sur l’aide de Champlain, qu’ils croyaient être resté en France, ou mort, selon le dire des marchands, ses rivaux, qui avaient remonté le fleuve en 1611-12.

La première chaloupe de traite qui arriva au saut Saint-Louis, au mois de mai 1613, y rencontra une petite troupe d’Algonquins, revenant de la guerre avec deux prisonniers iroquois. Il y eut quelque trafic entre eux. Les Français apprirent aux Sauvages que les choses étaient bien changées puisque leur ami, Champlain, était, cette fois, maître de tout le commerce, et que, de plus, il conduisait « nombre d’hommes pour les assister en leurs guerres. » Les Algonquins ne croyaient pas devoir attendre davantage, et dirent « qu’ils voulaient retourner en leur pays pour assurer leurs amis de leur victoire, voir leurs femmes et faire mourir leurs prisonniers en une solennelle tabagie. » Ils promirent d’être de retour bientôt.