lieu de s’attacher à l’agriculture. Le lecteur peut être convaincu de cette vérité : le Canada ne commença à posséder une population européenne que du jour où le premier habitant mit la charrue dans le sol. Tout ce qui avait précédé cette date appartient à une autre histoire que celle des Canadiens-français.
Veut-on savoir comment de pareilles erreurs s’introduisent dans les récits modernes ? De trois manières : 1o par esprit de dénigrement ; 2o parce que plusieurs contrées ont été d’abord des colonies pénales ; 3o à la lecture de certaines pièces, comme les commissions de Cartier, la Roche, etc., non accompagnées d’explications qui en déterminent la valeur.
A-t-on rencontré chez les écrivains qui ont parlé du Canada comme témoins oculaires avant 1660, ou même un peu plus tard, un indice des origines douteuses de nos familles ? Jamais. Les auteurs qui ont connu les choses de près nous font un tout autre tableau des premiers Canadiens. Il fallut attendre plus d’un demi-siècle avant que de voir paraître timidement cette légende sortie de la cervelle des ignorants et que la malice a cultivée depuis avec un soin remarquable. Trompé par les derniers venus des écrivains, le lecteur s’en laisse imposer aujourd’hui et la fable devient de l’histoire. En avançant dans notre travail, nous rencontrerons, d’époque en époque (1660–1700), la même accusation, formulée sans preuve, à mesure que de nouveaux habitants arrivent de France ; mais là aussi nous ferons voir que le Canada s’est peuplé autrement et mieux que les colonies auxquelles on cherche à l’assimiler.
Un auteur que nous avons contredit s’est rabattu sur une autre supposition : Que devinrent, écrit-il, les hommes engagés par les compagnies de traite et qui ont pu déserter des navires pour aller vivre avec les Sauvages tant de l’Acadie que du Canada ?
Si des aventuriers de ce genre ont pris terre à leur risque et péril, ce qui est possible quoique non prouvé, ils ont dû être absorbés par les Sauvages, soit en passant sur le gril, soit en se faisant adopter dans les tribus ; mais à coup sûr, on ne constatera jamais qu’ils aient fondé des familles canadiennes-françaises ! Nos métis ne remontent qu’à 1644, et sous les auspices les plus honorables ; vers 1700, ils ne comptaient pas une descendance de cent âmes. C’est après 1735 que les Canadiens employés au Nord-Ouest ont épousé des femmes du pays, mais nous démontrerons que là encore, il n’y a pas eu de dévergondage.
L’expérience faite au Brésil et ailleurs servit grandement à la gouverne de la population canadienne. On savait que, loin de civiliser le Sauvage avec lequel il allait vivre, le Français devenait sauvage lui-même, et se trouvait perdu pour ses compatriotes. Le tempérament dont nous sommes doués, la surprenante facilité avec laquelle nous apprenons les langues, le goût de la nouveauté, tout se prêtait à notre transformation dans ce milieu si attirant pour les peuples à imagination vive. Aussi, Champlain, les religieux, les administrateurs de la colonie en général furent-ils d’une rigidité extrême à l’égard des hommes employés chez les Sauvages. Plus le lecteur verra se dérouler notre histoire, moins il accordera de croyance aux insinuations des écrivains qui, après avoir perdu l’espoir de nous imposer pour ancêtres les rebuts de la société, tentent de nous faire descendre des Sauvages.