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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

détracteurs d’expliquer autre chose que les sottes intentions des rois de France, intentions qui, par la grâce de Dieu, n’ont pu se réaliser.

Revoyez le présent volume. Il vous démontrera que le jour où Champlain conçut le projet de s’établir à Québec, il avait table rase dans toute la Nouvelle-France ; car il n’était resté âme qui vive des quelques bandes d’enfants perdus que ses prédécesseurs avaient amenées dans ces vastes régions. Agissant d’après un faux principe, ces coureurs de fortune n’ont compté qu’un instant dans l’histoire, non pas de la colonisation, mais de la découverte et du trafic des fourrures. Pourquoi donc les avoir pris au sérieux et vouloir qu’ils soient fondateurs d’une race ?

Nous ne parlons ni de ce qui se rapporte au temps de M. de Montmagny, ni à l’administration du comte de Frontenac, ni à celle du premier Vaudreuil, ce qui nous mènerait à 1725, comme font les historiens qui prennent plaisir à brouiller les cartes afin de tirer des conclusions défavorables à notre endroit. Chaque époque viendra en son lieu. Pour le moment, il s’agit de répondre à ce qui touche le Canada avant 1608.

Nous avons examiné à la loupe les documents dont les historiens ont fait usage en retraçant le tableau des premiers temps de la Nouvelle-France, c’est-à-dire depuis la découverte jusqu’à la fondation de Québec, et nous n’y avons absolument rien trouvé qui puisse faire soupçonner, même de loin, l’existence d’un groupe quelconque d’hommes, ou même d’une seule famille, fixés à demeure dans ce nouveau pays avant l’année 1608. D’un autre côté, les circonstances dont se compose l’histoire de cette période insignifiante, et que nous avons mises sous les yeux des lecteurs, ne permettent pas de supposer qu’on ait pu former le moindre établissement durable, ou encore qu’une famille se soit arrêtée et maintenue quelque part sur nos rivages. Historiens et romanciers auront beau faire semblant de croire à cette légende, ce sera toujours un conte en l’air : la preuve n’existe point, et nous avons, par contre, une connaissance complète de l’origine de nos familles[1].

Ce dernier fait étant incontestable, où placerions-nous, dans la liste, les criminels, les vagabonds, les déserteurs dont on veut nous faire cadeau ? Ceux qui ont créé cette légende peuvent-ils fournir un seul nom d’homme ou de femme tiré de cette origine suspecte ? Évidemment non ; car ils n’y manqueraient pas. Alors, tout se borne à une simple assertion, sans preuve ni autre point d’appui que les lettres adressées à Cartier, la Roche, etc. ; mais ces lettres ne témoignent que des intentions des chefs des entreprises y mentionnées, tandis que l’histoire de chacune de ces entreprises atteste jusqu’à quel point elles ont failli.

Et pourquoi n’ont-elles pu réussir ? Précisément à cause du mauvais choix des hommes, et aussi parce que l’on avait en vue la traite des pelleteries et la recherche des mines, au

  1. Voir le Dictionnaire Généalogique de M. l’abbé Tanguay. Cette compilation d’actes de naissance, mariage et décès, est unique. Pour en faire apprécier la valeur, disons que tous les Canadiens-français, répandus dans l’Amérique du Nord, y retrouvent leur arbre généalogique accompagné de mille détails. Nulle nation ne possède un pareil livre. Nous le devons aux archives de nos paroisses et seigneuries, et à l’infatigable patriote dont il porte le nom. L’étranger, qui parfois s’occupe de nous, néglige trop de consulter notre bibliothèque nationale. On parle des Canadiens-français aux États-Unis, en France, en Angleterre, d’après des renseignements de fantaisie. Lorsque, un jour, on apprendra que nous sommes quelque chose, les ouvrages de Garneau, Ferland et Tanguay auront une belle place dans l’estime des érudits.