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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

bénéfices de la traite ; mais alors, c’était une fausse entreprise, car la base réelle d’une colonie est l’agriculture.

La supplique de la communauté de Saint-Malo (16 novembre 1604) aux États de Bretagne, mentionne « l’abus qui se commet par ceux qui, sous ombre de découvrir des mines, trafiquent à Canada et empêchent les habitants de la dite ville (Saint-Malo) d’y naviguer et trafiquer comme ils faisaient au passé. »

Poutrincourt se rendit à Paris, sur un exprès que lui avait envoyé de Monts pour lui passer la direction de son privilége. Il y a apparence que, désireux de succéder au chef de la compagnie, Poutrincourt le soutint assez peu dans ce pas difficile. D’ailleurs, le nouvel associé comptait sur des protections qui faisaient complètement défaut à un calviniste. De Monts conservait ouvertement ses titres et ses intérêts dans l’entreprise. On le voit se rendre à la Rochelle (avril 1606), où il surveille le départ du navire destiné à l’Acadie. Au mois de juillet, même année, Lescarbot vit, au détroit de Canso, des pêcheurs malouins qui « faisaient pour les associés du sieur de Monts. »

Une fois les arrangements terminés, restait « de trouver les ouvriers nécessaires à la Nouvelle-France, dit Lescarbot. À quoi fut pourvu en bref (car sous le nom de Poutrincourt il se trouvait plus de gens qu’on ne voulait), prix fait de leurs gages et pour se trouver à la Rochelle, où était le rendez-vous, chez les sieurs Macquin et Georges, honorables marchands de la dite ville, associés du sieur de Monts, lesquels fournissaient notre équipage. »

Plusieurs des hommes engagés par Poutrincourt n’étaient pas aussi paisibles que l’on voudrait bien croire. Rendus à la Rochelle, ils y firent les cents coups ; plusieurs furent emprisonnés. « Toutefois, dit Lescarbot, il y en avait quelques-uns respectueux et modestes ; mais je puis dire que c’est un étrange animal qu’un menu peuple. »

« Le sieur de Poutrincourt s’informa en quelques églises s’il se pourrait point trouver quelque prêtre qui eût du savoir, pour le mener avec lui, et soulager celui que le sieur de Monts y avait laissé à son voyage, lequel nous pensions être encore vivant. Mais d’autant que c’était la semaine sainte, temps auquel ils sont occupés aux confessions, il ne s’en présenta aucun ; les uns s’excusant sur les incommodités de la mer et du long voyage, les autres remettant l’affaire après Pâques. Occasion qu’il n’y eut moyen d’en tirer quelqu’un hors de Paris, parce que le temps pressait, et la mer n’attend personne. » On lui proposa de s’adresser aux Pères Jésuites ; il refusa.

Est-ce du prêtre ci-dessus que parle le Frère Sagard lorsqu’il dit : « En ces commencements que les Français furent vers l’Acadie, il arriva qu’un prêtre et un ministre moururent (l’hiver 1605-6, il y eut, à Port-Royal, douze décès, par suite du mal-de-terre) presqu’en même temps. Les matelots qui les enterrèrent les mirent tous deux dans une même fosse, pour voir si, morts, ils demeureraient en paix, puisque, vivants, ils ne s’étaient pu accorder. » Champlain, témoin de ces tristes spectacles, dût prendre dès lors la résolution d’exclure les calvinistes de sa colonie, si jamais il avait mission d’en diriger une.

Si d’un côté de Monts s’était vu retirer une partie de son privilége pour abus de pouvoir,