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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

mourut à Québec, le 30 avril 1672, en odeur de sainteté ; 3o la mère Marie de Saint-Bernard, née le 7 septembre 1616, au château de Saint-Germain, en Anjou, d’une noble et ancienne famille de cette province, très liée avec celle de madame de Sévigné, était fille de M. de la Troche, seigneur de Savonnière et de Saint-Germain, et de Jeanne Raoul, aussi de maison noble. Partant pour le Canada, elle prit le nom de mère de Saint-Joseph, en l’honneur du patron de ce pays ; 4o la mère Cécile de la Croix, âgée de trente ans ; 5o Charlotte Barré, âgée de dix-neuf ans, et qui fit profession sous le nom de mère de Saint-Ignace.

Après avoir raconté la séparation des religieuses d’avec leurs compagnes sur la plage de Dieppe, M. l’abbé Casgrain s’écrie[1] : « Ah ! qu’il faut aimer cette autre patrie du ciel pour s’exiler ainsi volontairement, s’arracher à tout ce que le cœur adore ici-bas, afin de la conquérir ! Adieu donc, charmant pays de France ! Adieu pour jamais, patrie mille fois aimée ; car le souffle de l’apostolat qui t’enlève aujourd’hui ces saintes voyageuses, l’élite de tes enfants, ne te les rendra plus ! Après une vie d’exil et de labeurs, leurs os mêmes ne reposeront pas parmi ceux de leurs ancêtres ; ils dormiront là-bas, sur cette terre sauvage qu’elles vont arroser de leurs sueurs et qui va devenir leur seconde patrie. Mais qu’elles sont belles à travers leurs larmes, ces anges de la terre ! Comme leurs figures, illuminées par la joie du sacrifice, laissent bien voir que si leurs regrets sont sensibles, ils ne sont pas amers ! Et qu’elle est admirable cette religion qui transfigure ainsi en bonheur céleste de poignantes angoisses, qui met des roses dans la main qui croyait cueillir de sanglantes épines ! »

L’arrivée des religieuses à Québec, le 1er août 1639, fut un événement qui réjouit toute la population. Nos historiens racontent en détail les travaux des deux monastères, et nous font admirer avec raison le courage, l’esprit de foi et de sacrifice qui animaient les saintes femmes arrachées volontairement à l’existence tranquille de leur pays et se plaisant à tout souffrir pour la gloire de Dieu et le salut des âmes dans une contrée barbare, au milieu de privations sans nombre.

Vouées au soin des malades, les hospitalières ont rendu d’immenses services aux sauvages comme aux Français.

Le père Le Clercq[2] fait observer que si les ursulines n’ont pas eu de grands succès dans la conversion des sauvages, elles ont su tirer parti de la permission qui leur était donnée d’instruire les filles des Canadiens, et que par là leur institution a pu se passer bientôt des secours de France. Le projet de madame de la Peltrie avait été, en effet, de charger les ursulines de l’éducation des filles des indigènes ; mais on ne tarda point à comprendre que les sauvages du Canada n’étaient susceptibles ni d’être instruits ni de se former à notre manière de vivre. Le père de Charlevoix exprime fort bien cette vérité : « Ces enfants, au sortir d’une maison régulière, se retrouvant au milieu de la barbarie et exposées à toute la contagion du commerce avec les infidèles, le sang et la nature reprenaient bientôt le dessus, et il ne leur restait de la bonne éducation qu’on leur avait donnée que plus d’ouverture

  1. Histoire de l’Hôtel-Dieu de Quebec, 63.
  2. Premier établissement de la Foi, II, 40-41.