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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

« Le lien féodal, avec toutes les charges imposées par son titre primitif, devait être respecté, suivi dans tous les degrés de l’échelle. L’obligation de sous-concéder atteignait donc les vassaux de la Compagnie comme la Compagnie elle-même. S’il en eût été autrement ; si, du moment qu’une grande sous-inféodation eût été faite par la Compagnie, et par le fait seul de cette sous-inféodation, le vassal eût été en droit de réclamer l’exemption de sous-concéder, c’est-à-dire de faire défricher, déserter, cultiver les terres, les mettre en valeur, en un mot de faire habituer le pays, pour me servir du langage de ce temps-là — l’objet de la charte de 1627-28 n’eût pu être accompli… J’ai examiné les titres d’un nombre considérable de concessions en censive faites avant l’année 1711, dans le domaine de la couronne et dans celui des seigneurs particuliers, et le résultat de cet examen démontre que le taux des cens et rentes n’a jamais été uniforme ; qu’il a constamment varié, même dans une seule et même seigneurie. Dans le domaine de la couronne, ce taux a varié, durant la période dont je parle (avant 1711), depuis six deniers de cens pour une concession de deux lieues sur deux lieues, jusqu’à six deniers de cens pour chaque arpent en superficie ; et même, quand la redevance est ainsi distribuée par arpent, elle est établie sur le pied d’un, trois ou six arpents. Tel était l’état légal des choses lors de la promulgation des deux arrêts de Marly du 6 juillet 1711. Aucune loi n’avait fixé la quotité de la redevance qu’un seigneur pouvait stipuler dans un bail à cens. Si on objecte que le seigneur canadien, étant obligé de concéder, devait être tenu de le faire à un certain taux ; qu’autrement, cette obligation devenait illusoire, je réponds : C’était l’obligation de défricher les terres de sa seigneurie qui avait été imposée au seigneur, principalement ; cette obligation entraînait, il est vrai, comme conséquence, celle de sous-concéder, puisque c’était le seul moyen d’opérer le défrichement. Mais cela n’allait pas jusqu’à le priver du droit qu’il avait de faire un bail à cens aussi avantageux que possible. S’il trouvait des colons disposés à accepter (c’est-à-dire consentant à payer au seigneur) telle ou telle quotité de redevance et à défricher les terres qu’il leur concédait ainsi, il avait accompli son obligation de défrichement. Il pouvait, avant 1711, refuser de concéder ; la loi n’avait pas encore donné aux colons un droit d’action contre lui pour l’y contraindre ; mais si, par suite de ce refus, son fief restait en friche, non mis en valeur, la « déchéance » de son droit de propriété et la « réunion » du domaine à la couronne étaient là pour lui faire subir la peine de son injuste refus. Si le seigneur avait concédé sans stipuler la quotité de la redevance, ou s’il ne pouvait pas représenter un titre qui établît cette quotité, ni justifier d’une possession suffisante, alors cette quotité devait être réglée, comme cela se pratiquait en France, sur le pied de la censive la « plus ordinaire » ou « accoutumée », soit des héritages voisins dans la même enclave, soit des héritages des seigneuries voisines[1]. »

« Le seigneur n’était donc, à vrai dire, au Canada, que l’entrepreneur du peuplement d’un territoire donné, et le bénéfice qui lui était attribué était loin d’être excessif. Il fallait, pour tirer parti de sa seigneurie, qu’il y attirât des colons, et il était lié à sa colonie, non par l’intérêt transitoire d’un homme une fois payé, comme le spéculateur, mais par celui d’une

  1. Sir Louis-H. Lafontaine : Tenure seigneuriale, vol. A, pp. 27, 162.