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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

25 de janvier, Hébert fit une chute qui lui occasionna la mort. Ça été le premier chef de famille résidant au pays qui vivait de ce qu’il cultivait[1]. Les exhortations que le pauvre blessé adressa à sa famille sont rapportées par le frère Sagard en termes touchants[2]. On voit du reste, par les écrits du temps et même par ceux des personnes venues au Canada un demi-siècle après sa mort, que Louis Hébert avait laissé parmi les Canadiens un riche souvenir. « Ce premier habitant de la colonie tomba malade, épuisé des fatigues qu’il avait souffertes, et, après avoir traîné quelques jours, il rendit le tribut à la nature. Il laissa un regret universel de sa mort. On l’enterra solennellement dans notre cimetière ; mais, comme ce lieu fut renversé depuis notre rétablissement (1670) en Canada, on trouva encore ses ossements renfermés dans un cercueil de cèdre en 1678. Le révérend père Valentin Le Roux, alors commissaire et supérieur de toutes nos missions, le fit tirer de cet endroit et transporter solennellement dans la cave de la chapelle de l’église de notre couvent qu’il y avait fait bâtir ; et le corps de celui qui avait été la tige des habitants du pays est le premier dont les ossements reposent dans cette cave, avec ceux du frère Pacifique Duplessis. Madame (Guillemette Hébert, veuve de Guillaume Couillard) Couillard, fille du sieur Hébert, qui vivait encore alors, s’y fit transporter et voulut être présente à cette translation… On peut appeler Hébert l’Abraham de la colonie, le père des vivants et des croyants, puisque sa postérité a été si nombreuse qu’elle a produit quantité d’officiers de robe et d’épée, de marchands habiles pour le négoce, de très-dignes ecclésiastiques, enfin grand nombre de bons chrétiens dont plusieurs même ont beaucoup souffert et d’autres ont été tués des sauvages[3] pour les intérêts communs[4]. »

Le deuil du premier colon canadien et l’indifférence de la compagnie à l’égard des habitants de Québec n’étaient pas les seuls sujets que la petite colonie eût à méditer. Il y avait un autre nuage à l’horizon : la guerre des sauvages. On se rappelle que le complot des Algonquins et des Montagnais, au printemps de 1618, avait déjà beaucoup inquiété les Français. La bonne entente, une fois rétablie, ne devait plus être brisée, il est vrai, mais ce n’était pas chose facile que d’empêcher les nations, alliées, répandues sur un territoire de deux cents lieues de longueur, d’entrer en conflit avec les Iroquois ! L’ancienne coutume des embuscades et des coups de main se continuait comme avant l’arrivée des traiteurs sur le Saint-Laurent, avec cette différence, néanmoins, que les Iroquois se gardaient d’aller rencontrer leurs ennemis près de Québec. Après quelques années, voyant que les Français n’augmentaient guère en nombre, ils reprirent de l’audace. Dans l’été de 1622, trente pirogues[5] de leurs guerriers allèrent attaquer la maison des récollets à la rivière Saint-Charles. Ils furent repoussés et placèrent des patrouilles sur le fleuve pour gêner les communications. Le

  1. Œuvres de Champlain, p. 1116.
  2. Histoire du Canada, pp. 590-91.
  3. Voir Relation, 1661, p. 35.
  4. Le Clercq : Premier Établissement, I, 112, 210, 374, 375.
  5. Les Canadiens emploient le mot canot partout où les Français disent pirogues. Néanmoins, ce dernier mot n’est pas disparu de parmi nous ; car on dit une vieille pirogue pour désigner une embarcation délabrée.