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foire au jambon que l’on tenait, il n’y a pas longtemps, sur le parvis de la cathédrale. À Noël et à la Saint-Martin, jours qui, depuis le commencement de la monarchie, sont, comme on le sait, des jours de réjouissance et de fête domestique[1], les particuliers aisés tuaient un cochon, qu’ils salaient ensuite pour leur provision de l’année. Ceux qui n’étaient pas assez riches pour fournir seuls à cette dépense se réunissaient plusieurs ensemble. On faisait des boudins, des saucisses, dont on envoyait des présents à ses parents et amis[2], et on les mangeait en famille. Ces coutumes subsistent encore dans nos provinces. À Pâques, on se décarêmait avec un jambon, et c’était là la friandise par excellence. La religion s’était prêtée même à sanctifier, en quelque sorte, le mets principal de ces petites agapes. Le jambon ou le lard qu’on y destinait étaient bénis à l’église. La vente du cochon en détail appartint pendant longtemps aux bouchers. Quelques personnes, dont la profession était de donner à manger, s’avisèrent de vendre du porc cuit et des saucisses ; bientôt ce commerce devint lucratif et fut embrassé par tant de gens, que le parlement fut obligé de le limiter. Par un règlement de 1419, il l’interdit aux chandeliers et aux corroyeurs, qui s’en mêlaient. Pendant tout le carême, la vente du porc était interdite ; les charcutiers s’en dédommageaient en vendant du hareng salé ou du poisson de mer. » Le Canadien qui lira ces lignes reconnaîtra plus d’un trait de mœurs de nos campagnes, conservé, comme tant d’autres, sans qu’on se demande d’où ils viennent.

M. J.-D. Mermet, officier du régiment des Meurons, qui se reposait des fatigues de la guerre de 1812 au milieu de nos campagnes, a décrit en vers les boucheries canadiennes.

Voici un extrait de sa composition :

La victime s’étend sur le bûcher de paille,
Sur son corps l’eau bouillante est versée à grands seaux ;
Les plus légères mains font glisser les couteaux
Qui du grognon défunt enlèvent la dépouille ;
Et bientôt sont formés la succulente andouille,
Le boudin lisse et gras, le saucisson friand,
Et plusieurs mets exquis savourés du gourmand.
Ainsi le bon pourceau change pour notre usage,
Et ses pieds en gelée, et sa tête en fromage.
On taille, on coupe, on hache, et des hachis poivrés
Sortent les cervelas et les gâteaux marbrés.
L’un remplit les boyaux, l’autre enfle les vessies ;
On partage, on suspend les entrailles farcies ;
Un lard épais et blanc étale ses rayons ;
Ici brille la hure, et plus loin les jambons ;
Et là se met à part la côtelette plate,
Qu’un sel conservateur rendra plus délicate ;
Tous les morceaux enfin, même le plus petit,
Sont rangés avec art et flattent l’appétit.

  1. Noël et les Rois sont les grands jours de table des Canadiens.
  2. Nous pratiquons ces coutumes largement.