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La situation du Canada était des plus pénibles. Les Iroquois grandissaient en puissance et naturellement en audace. Le cours du Saint-Laurent leur appartenait par le droit de la force. Leurs maraudeurs descendaient jusqu’à Gaspé et y portaient le fer et le feu, accompagnés des horreurs dont les récits du temps nous fournissent les détails. Ils étaient déterminés à fondre dans leur confédération les restes des tribus huronnes, ou à anéantir celles-ci sous les yeux des Français si on refusait de se prêter à leurs desseins. Les annalistes et les historiens ont beaucoup écrit sans rien expliquer sur ce sujet. Nous n’y voyons que des choses fort explicables — étant donné le naturel de la race huronne-iroquoise. En premier lieu, les Hurons n’avaient fait alliance avec les Français que par calcul : leur éloignement des Iroquois, et par suite l’esprit de vengeance qui animait ces derniers contre eux, les mettaient dans le cas de chercher à se faire des alliés. Quand les Iroquois virent que la France ne donnait qu’un secours imaginaire à leurs « frères séparés », et que les missionnaires affluaient au pays des grands lacs, ils adoptèrent une politique parfaitement conforme à l’esprit de domination de leur peuple, savoir : l’écrasement des tribus huronnes, qui devait amener l’affaiblissement des Français trop dispersés, trop peu soutenus par la mère-patrie. Durant les guerres de 1636 à 1655, ils cédèrent néanmoins à un instinct de race qui leur faisait adopter bon nombre des vaincus, fortifiant par là les liens de familles et comblant les vides produits dans leurs rangs par la fortune des armes. Lorsque les restes des bourgades huronnes prirent le chemin de Québec (1650), la moitié des malheureux ainsi chassés de leur pays comptaient des parents parmi les Iroquois. Les allures des maraudeurs et des assassins organisés en bandes se modifièrent. On les vit entrer en conférences, non-seulement avec leurs victimes, mais aussi avec les Français, et demander ou plutôt exiger à front découvert la réunion de toutes les familles huronnes-iroquoises. Le sentiment de leur impuissance portait les Hurons à adopter ce plan. Restait à convaincre les Français. Les Iroquois se montrèrent à la hauteur de diplomates consommés en attaquant les administrateurs de la colonie par le côté religieux. Il a toujours été de pratique chez les sauvages de l’Amérique du nord de regarder les « robes noires » comme des chefs français ; les jésuites savaient cela et en tiraient profit. Les Iroquois comprenaient de plus que ces hommes ne prêchaient point la guerre, et par conséquent qu’ils ne pouvaient leur être nuisibles de ce côté. Or, en flattant le désir qu’avaient les missionnaires de se répandre au loin, ils étaient sûrs d’entraîner le gouvernement de Québec à seconder leurs vues. C’est ce qui arriva. Les Hurons, affolés de terreur et attirés par les parents qu’ils avaient dans les cantons, résistaient mollement aux instances des délégués et des visiteurs qui se glissaient chaque jour au sein de leur village sous mille prétextes. Les choses en vinrent au point que, non contents des revers éprouvés par les colons, et sans tenir compte de l’état de gêne de la colonie, les jésuites résolurent de taxer encore le pays pour équiper un corps de cinquante ou soixante personnes destiné à établir une mission en plein pays des Iroquois. Qu’on lise les mémoires du temps — on y trouvera, mêlé aux discours des orateurs iroquois, des témoignages de l’adresse incroyable de cette nation, des preuves de la duplicité des Hurons, et des signes non équivoques de