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tuer plutôt que de tomber vivantes aux mains d’un ennemi féroce. Godefroy fut admirable de sang-froid et d’audace ; sa vue soutenait le cœur de ses compagnons ; au milieu du feu continuel que les Iroquois dirigeaient sur lui, il se prodiguait avec une telle ardeur qu’on aurait pu le croire invulnérable. Enfin, ne pouvant tenir tête à tant d’ennemis, les Attikamègues plièrent. Godefroy[1], couvert de blessures dont plusieurs étaient mortelles, s’affaissa dans une mare de sang, se traîna vers un groupe de mourants et rendit le dernier soupir. Un survivant, le seul, fut capturé, mais il s’évada et parvint aux Trois-Rivières vers le 25 juin. Vingt-quatre Iroquois périrent dans ce combat. L’armée dont ils faisaient partie se composait de trois cents guerriers qui allaient attaquer les sauvages de Tadoussac. Les chemins étaient coupés partout.

Comme ces nouvelles se répandaient à Québec, un nouveau désastre était survenu le 22 juin. M. Jean de Lauson, sénéchal de la Nouvelle-France, en fut la principale victime. Les Iroquois avaient enlevé ou tué vingt-trois personnes à Montréal, dans le commencement de l’été. Une autre bande avait assommé tous ceux qui étaient aux environs de Tadoussac. À la côte de Beaupré, huit habitants venaient d’être massacrés. On donna avis à Québec que sept autres avaient péri de la même manière à l’île d’Orléans. M. de Lauson, se jetant dans une chaloupe avec sept hommes, longeait la côte sud de l’île lorsque, arrivé à la rivière Maheu, il mit pied à terre et voulut savoir ce qui se passait dans la maison de René Maheu. Cette maison était pleine d’Iroquois. M. de Lauson et ceux qui l’accompagnaient soutinrent une lutte acharnée ; mais ils furent tués, à l’exception de l’un d’entre eux qui fut pris, ayant eu les bras hachés en morceaux avant que de tomber aux mains des ennemis.

Les chroniques du temps nous racontent bien d’autres épisodes de ces jours lamentables. C’était pourtant au lendemain du fameux siège du Long-Sault qui, en 1660, avait sauvé la colonie ; mais un échec, même considérable, ne suffisait point à arrêter les Iroquois : ils savaient que la France ne nous fournissait point de troupe. « La guerre des Iroquois, disent les Relations, traverse toutes nos joies… il n’y a rien de si aisé à ces barbares que de mettre toutes nos habitations à feu et à sang, à la réserve de Québec, qui est en état de défense, mais qui, toutefois, ne serait plus qu’une prison où l’on mourrait de faim, si la campagne était ruinée… C’est une espèce de miracle que les Iroquois, pouvant si aisément nous détruire, ne l’aient pas encore fait, ou plutôt c’est une providence de Dieu qui, jusqu’à maintenant les a aveuglés et a rompu les desseins qu’ils ont formés de nous faire cette sorte de guerre… Ils ont fait des coups de cœur et se sont signalés, en certaines rencontres, autant qu’on pourrait l’espérer des plus braves guerriers d’Europe. Pour être sauvages, ils ne laissent pas de savoir fort bien la guerre, mais d’ordinaire celle des Parthes qui donnèrent autrefois tant de peines aux Romains… Ce qui est plus étonnant, c’est qu’ils dominent à cinq cents lieues à la ronde, étant néanmoins en fort petit nombre, car des cinq nations dont l’Iroquois est composé, l’Agnieronnon ne compte pas plus de cinq cents hommes portant armes, dans

  1. Né en Canada. Dans les lettres de noblesse accordées à son père en 1668, il est dit que plusieurs membres de cette famille avaient péri de la main des Iroquois.