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Davenne et d’autres. La récolte de blé, en 1651, fut abondante. Mais quelle existence que celle de ces cultivateurs ! Journellement aux prises avec les Iroquois, ils se battaient aussi souvent qu’ils poussaient la charrue. Cinquante Français étaient tout ce qu’il y avait d’hommes à Montréal (1651), chiffre que l’on peut regarder comme le cinquième de toute la population en état de porter les armes dans le Canada. Et la guerre redoublait d’intensité. Les Hurons réfugiés à l’île d’Orléans ne changeaient rien à leur caractère : ils avaient déjà recommencé la course aux Iroquois, en compagnie des Algonquins aussi peu raisonnables qu’eux, et, comme la vengeance de l’ennemi était inévitable, les Français devinaient aisément que le danger approchait de leurs habitations de jour en jour.

M. Louis d’Ailleboust augmenta de trente hommes sa force du camp volant. Il organisa les cadres de la milice, première démarche de ce genre qui nous soit connue. Les instructions données (6 juin 1651) au capitaine Pierre Boucher, des Trois-Rivières, divisaient les habitants en escouades, prescrivaient les exercices, les gardes, les patrouilles, enfin tout le service des places en temps de guerre. Quelques troupes arrivèrent de France (1651) ; on les destina aux Trois-Rivières, poste plus exposé que les autres ; des Français et des Hurons y avaient été tués, et, d’après la rumeur, on craignait un coup de main sur le village même. Montréal était pour le moins autant menacé. « Il n’y a pas de mois en cet été où notre livre des morts ne soit marqué en lettres rouges par la main des Iroquois, » dit M. Dollier de Casson. À Québec, on était si tranquille qu’on y commença, sous la direction de Martin Boutet, paraît-il, une école pour les enfants des Français, voyant que les jeunes sauvages ne profitaient pas de l’instruction qu’on tentait de leur fournir depuis treize ou quatorze ans. Il était temps que l’on se mît à songer un peu à la population, qui seule pouvait faire la force du pays.

Les colonies anglaises, nos voisines, avaient manifesté, vers 1647, le désir de nouer des relations commerciales. Le père Druilletes et Jean-Paul Godefroy les visitèrent en 1651, mais sans résultat, parce que nous exigions, ou que l’on arrêtât les déprédations des Iroquois, ou que les commerçants anglais ne leur donnassent plus les moyens de tenir la campagne contre nous. Cet esprit égoïste des chambres de la Nouvelle-Angleterre ouvrit un champ plus vaste que jamais aux massacres des sauvages ; il fut la cause que, plus tard, nous eûmes à prendre les armes contre les Anglais — et cela eut lieu alors que nos habitants, formés à la guerre par une cruelle nécessité, étaient en état de faire payer chèrement à leurs voisins la fausse politique derrière laquelle ils s’étaient retranchés, dans l’espoir de nous voir succomber sous les coups des Iroquois.

M. Louis d’Ailleboust déployait toute l’activité d’un militaire et d’un administrateur ; mais la partie n’était pas égale. Les Cent-Associés jouissaient de grands privilèges, en retour desquels ils ne donnaient à peu près rien. La compagnie des Habitants avait assumé un rôle au dessus de ses forces, vu que la guerre était plus terrible qu’autrefois. Les jésuites ne faisaient point corps avec la population. Plusieurs personnes parlaient ouvertement d’abandonner le Canada aux Iroquois, puisque les colons y étaient livrés à ces barbares par l’indifférence de la mère-patrie. C’était une situation lamentable sous tous les aspects.