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nommer les gouverneurs, et la direction des missionnaires, mais ils continuaient à être sourds lorsque nous demandions des troupes, des colons, des prêtres séculiers, des curés. La compagnie de Montréal, toute influente qu’elle était, ne pouvait lutter contre la bande noire qui écrasait le Canada.

De cinq vaisseaux sortis des ports de France en destination du Canada, le printemps et l’été de 1655, deux seulement arrivèrent à Québec. L’un était naufragé, un autre avait été pris par les Anglais, le troisième par les Espagnols. Ces désastres redoublèrent la gêne de la colonie.

Dans l’espoir de compenser les pertes occasionnées par l’abandon du trafic du Haut-Canada, M. de Lauson se tourna vers Tadoussac ; mais, là comme ailleurs, il avait la main malheureuse en cherchant à accaparer la direction des choses et les bénéfices possibles. Des plaintes furent portées contre lui à ce sujet, tant par les Habitants que par la compagnie des Cent-Associés, dès 1653[1] ; mais il paraîtrait qu’elles ne reçurent que peu d’attention de la part des autorités. Il en résulta un mécontentement général parmi les Habitants. En réponse, le gouverneur défendit à ces derniers de faire aucun commerce du côté de Tadoussac. C’était enfreindre le règlement de 1648 qui accordait le privilège exclusif du trafic des castors du Canada, au-dessus du poste de Miscou, à la compagnie des Habitants, sous condition que ceux-ci livreraient au gouverneur le quart de ces fourrures, pour subvenir aux dépenses de l’administration du pays, et aux Cent-Associés, une rente annuelle de mille livres de castors. M. de Lauson, trouvant que la traite diminuait et que le quart en question ne suffisait plus aux charges publiques, établit une ferme particulière à Tadoussac et bientôt cessa de payer aux Cent-Associés la rente convenue. Sa triste politique, depuis vingt ans, avait amené la colonie à cet état désespéré ; il n’était pas de force à l’en sortir.

« Les traites du côté du sud sont presque anéanties, mais celles du nord sont plus abondantes que jamais, écrivait, en 1652, la mère de l’Incarnation. Si l’on était exact à apporter de bonne heure des marchandises de France, en sorte que par ces retardements les castors ne fussent point divertis ailleurs, les marchands seraient riches. Mais, au fond, tandis que les habitants s’amusent à cette traite, ils n’avancent point tant leurs affaires que s’ils travaillaient à défricher la terre et s’attachaient au trafic de la pêche et des huiles de loups-marins et de marsouins, et autres semblables denrées, dont on commence d’introduire le commerce. »

Tadoussac et les Trois-Rivières étaient les débouchés de la traite du nord. Québec n’a jamais été un poste de ce genre ; en 1655, Montréal ne l’était pas encore.

La vallée de l’Outaouais, ou, comme on dit à présent, de l’Ottawa, était fréquentée par les peuples de langue algonquine avant l’époque de Champlain. Le quartier-général de cette race était l’île des Allumettes. On appelait les tribus de ce dernier endroit les « Algonquins supérieurs, » parce qu’elles habitaient le haut de la rivière et dominaient sur une grande étendue de pays. La langue algonquine était répandue très loin, puisque ses dialectes

  1. Harrisse : Bibliographie, p. 96.