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couvraient les sources du Saguenay, du Saint-Maurice, de l’Ottawa et des rivières qui se déversent dans le lac Supérieur, sans compter les plaines de l’ouest. La présence des Français sur le Saint-Laurent ayant attiré de ce côté de nombreuses familles, et les désastres des Hurons en 1648 et 1649, refoulant ces peuples vers le grand fleuve, la rivière Ottawa se trouva dépeuplée. Alors, on vit paraître une nouvelle tribu, de langue algonquine, dont Champlain avait eu connaissance sur la rivière des Français (1615), et que le frère Sagard avait rencontrée, vers 1627, dans les mêmes territoires. C’étaient les Outaouais (nation des Oreilles), connus principalement par la manière dont ils relevaient leurs cheveux et s’en ornaient la tête en se découvrant les oreilles. Avant 1654, la rivière « des Algonquins » avait aussi porté le nom « des Prairies » ; mais, après cette date, elle prit le nom de rivière des Outaouais, par suite du passage fréquent des gens de cette tribu, qui, sans craindre les Iroquois, descendaient par là à Montréal et jusqu’à Québec.

Les Outaouais commerçaient chez les nations du sud-ouest. Ils continuaient la tradition de leurs ancêtres qui avaient eu, pendant des siècles, des rapports avec les peuples du Mississipi et du Missouri, par le Wisconsin et le lac Supérieur. En 1654, la mère de l’Incarnation disait : « Des sauvages fort éloignés disent qu’il y a, au-dessus de leur pays, une rivière fort spacieuse, qui aboutit à une grande mer que l’on tient être celle de la Chine. Si, avec le temps, cela se trouve véritable, le chemin sera fort abrégé, et il y aura facilité aux ouvriers de l’Évangile d’aller dans ces royaumes, vastes et peuplés ; le temps nous rendra certains de tout. » La Relation de la même année, rapportant les dernières nouvelles reçues des contrées lointaines, s’exprime ainsi : « Dans les îles du lac des Gens-de-Mers (la baie Verte du lac Michigan), que quelques-uns appellent mal à propos les Puants, il y a quantité de peuples dont la langue a grand rapport avec l’algonquine ; il n’y a que neuf jours de chemin depuis ce grand lac jusqu’à la mer[1] qui sépare l’Amérique de la Chine, et que, s’il se trouvait une personne qui voulût envoyer trente Français en ce pays-là, non-seulement on gagnerait beaucoup d’âmes à Dieu, mais on retirerait encore un profit qui surpasserait les dépenses qu’on ferait pour l’entretien des Français qu’on y enverrait, pour ce que les meilleures pelleteries viennent plus abondamment de ces quartiers-là. Le temps nous découvrira ce que nous ne savons encore que par le rapport de quelques sauvages, qui nous assurent avoir vu de leurs yeux ce qu’ils expriment de leur bouche. » Une flottille de traite, conduite par des Outaouais, venant de quatre cents lieues à l’ouest, se rendit aux Trois-Rivières en 1654 ; chemin faisant, elle avait capturé treize Iroquois dont on se débarrassa à Montréal en apprenant que la paix était conclue sur le Saint-Laurent.

L’arrivée des Outaouais prend l’importance d’un événement dans l’histoire du Canada. Ils étaient, en quelque sorte, des ambassadeurs envoyés vers les Français pour les inviter à porter leurs opérations de commerce dans les lointaines régions du lac Michigan, d’où, selon leurs rapports, il était possible d’atteindre la mer Pacifique. Au printemps de 1653, ces gens

  1. De la baie Verte en remontant la rivière au Renard, en franchissant le portage, puis descendant le Wisconsin, il y a, en effet, de sept à neuf journées de canot pour atteindre le Mississipi, ou les grandes eaux — expression sauvage que les Français prenaient pour l’océan.