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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

l’esprit de domination des Français et surtout des jésuites sur le pays. Il paraîtrait que M. de Courcelles fut celui qui porta le coup de grâce à ce système de falsification. M. d’Allet, prêtre de Montréal déjà mentionné, dit : « Dès que ces Relations étaient imprimées en France, on[1] avait soin de les envoyer aux ecclésiastiques qui étaient à Montréal, et ils gémissaient de voir que les choses étaient rapportées tout autrement qu’elles n’étaient dans la vérité. M. de Courcelles en ayant donné avis à la cour, on donna ordre aux pères jésuites de ne plus faire de Relations. » Il faut noter, toutefois, que des défenses antérieures avaient été portées et que, dès 1664, on ne voit plus sur ces imprimés l’approbation du provincial des jésuites de France. De 1664 à 1669, Sébastien Cramoisy publie sous son nom, joint à celui de son neveu ; en 1670, par suite de la mort de Sébastien, arrivée l’année précédente, on ne voit que le nom du neveu. La mesure générale du 6 avril 1673, confirmant les autres défenses, ne permit plus l’équivoque : il fallut se soumettre — les Relations cessèrent de paraître[2].

L’exclusivisme qui règne dans ces narrations et que l’on a voulu excuser en disant qu’elles sont consacrées uniquement aux affaires religieuses, n’est que trop réel et par suite condamnable. Les jésuites savaient bien ce qu’ils faisaient en représentant les choses sous un jour favorable à leurs seuls intérêts. Une fois frappés, ils se soumirent mais tardivement, et, disent les historiens, leurs adversaires se sont montrés peu charitables en les critiquant, alors qu’ils ne pouvaient plus se défendre. Mais les jésuites avaient-ils été justes, au temps de leur puissance, envers les gens qu’ils vilipendaient et le pays qu’ils trahissaient ? N’ayant pas souffert qu’on luttât contre eux, ils devaient s’attendre à être attaqués après leur chute. On a raison de se moquer, comme l’a fait le père Le Clercq, de ce nombre prodigieux de sauvages convertis qui ont disparu du moment où les Relations cessèrent de circuler en France.

Ce n’est pas que les jésuites n’aient renfermé dans ces lettres de précieux renseignements sur l’histoire de la colonie. À titre de pièces de ce genre, elles sont de toute valeur. Seulement, il faut les lire avec précaution et contrôler les faits. Le parti-pris de ne faire envisager le Canada en France que comme, un pays de mission trompe le lecteur. Et puis, il y a de ces sous-entendus terribles qui vont plus loin. Par exemple, on mentionne ceux qui ne veulent pas le bien de l’Église ; ceux qui sont opposés à la vérité ; ceux que l’esprit d’insubordination inspire ; ceux qui résistent aux ministres du Seigneur. Oui sont ceux-là ? On ne le dit pas — mais nous savons qu’il s’agit des habitants, des Canadiens fatigués des simagrées et des abus de ce corps nombreux et puissant. Sous le couvert de la religion, l’intrigue a été longtemps victorieuse en Canada, et encore de nos jours, la presse bonasse accepte la prétendue tradition des « jésuites bienfaiteurs de ce pays, » sans rien connaître et sans rien peser. Le premier hâbleur venu fait parler un journal ; ce hâbleur est toujours l’instrument de quelqu’un plus habile que lui.

  1. Des amis de Saint-Sulpice.
  2. Voir Revue de Montréal, 1877, p. 167-71. Harisse : Bibliographie, p. 60.